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composée par Venantius Fortunatus, et adressée en même temps au roi Hilperik et à tous les évêques réunis à Braine[1]. La singulière existence que s’était faite, par son talent et son savoir-vivre, cet Italien, poète favori de la haute société gauloise du VIe siècle, exige ici une digression épisodique. Né aux environs de Trévise et élevé à Ravennes, Fortunatus était venu en Gaule pour acquitter un vœu de dévotion au tombeau de saint Martin ; mais comme ce voyage fut pour lui une sorte de course triomphale, il ne se hâta point de le terminer[2]. Après avoir fait son pélerinage à Tours, il continua de se promener de ville en ville, accueilli, fêté, désiré par tous les hommes de haut rang qui se piquaient tant soit peu de politesse et d’élégance[3]. De Mayence à Bordeaux, et de Toulouse à Cologne, il parcourait la Gaule, visitant sur son passage les ducs, les comtes, les évêques, soit franks soit gaulois d’origine, et trouvant dans la plupart d’entre eux, d’abord des hôtes empressés, et bientôt de véritables amis.

Ceux qu’il venait de quitter après un séjour plus ou moins long dans leur palais épiscopal, leur maison de campagne ou leur château-fort, entretenaient dès lors avec lui une correspondance réglée, et il répondait à leurs lettres en prose par des pièces de vers élégiaques, où il retraçait poétiquement les souvenirs de son voyage les plus capables de plaire à ses nouveaux amis. Il parlait à chacun des beautés naturelles ou des monumens de son pays ; il décrivait les sites pittoresques, les fleuves, les forêts, la culture des campagnes, la richesse des églises, l’agrément des maisons de plaisance[4]. Ces peintures, quelquefois vraies et quelquefois aussi vaguement emphatiques, étaient mêlées de complimens et de flatteries. Le poète vantait chez les seigneurs de race franke l’air de bonhomie, l’hospitalité, l’aisance à converser en langue la-

  1. Ad Chilpericum regem quandò synodus Brinnaco habita est. (Apud Fortunati Pictav. episc. opera, lib. ix, carmen 1 ; edit. in-4o, Romae, 1786.)
  2. Vita Fortunati, præfixa ejus operibus, auctore Michaele Angelo Luchi.
  3. Quemdam virum religiosum, nomine Fortunatum ; metricis versibus insignem quia multis potentibus et honorabilibus viris, in his Gallicis et Belgicis regionibus per diversa loca, tunc vitæ ac scientiæ suæ merito, invitabatur… (Hincmarus de Egidio Remensi episc. in vità S. Remigii ; apud Fortunati vitam, pag. 61.)
  4. V. Fortunati lib. i, carm. 19, 20, 21 ; lib. iii, carm. 6, 8, et passim.