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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

Soissons au commencement du mois d’août de l’année 580. Selon toute apparence, ce synode devait être encore plus nombreux que celui de Paris en 577 ; car les évêques de plusieurs cités méridionales nouvellement conquises sur le royaume d’Austrasie, et entre autres celui d’Albi, furent invités à s’y rendre[1]. L’évêque de Tours reçut cette invitation dans la même forme que tous ses collègues. Par une sorte de point d’honneur, il s’empressa d’y obéir aussitôt, et arriva des premiers à Soissons.

L’attente publique était alors fortement éveillée dans la ville, et cet accusé d’un si haut rang, de tant de vertu et de renommée, excitait un intérêt universel. Ses manières dignes et calmes sans affectation, sa sérénité aussi parfaite que s’il fût venu siéger comme juge dans la cause d’un autre, ses veilles assidues dans les églises de Soissons, près des tombeaux des martyrs, et des confesseurs, changèrent en un véritable enthousiasme les respects et la curiosité populaires. Tout ce qu’il y avait d’hommes de naissance gallo-romaine, c’est-à-dire la masse des habitans, se rangeait, avant toute épreuve juridique, du parti de l’évêque de Tours contre ses accusateurs, quels qu’ils fussent. Les gens du peuple surtout, moins réservés et moins timides en présence du pouvoir, donnaient libre carrière à leurs sentimens, et les exprimaient en public avec une hardiesse passionnée. En attendant l’arrivée des membres du synode et l’ouverture des débats, l’instruction du procès se poursuivait toujours sans autre fondement que le témoignage d’un seul homme. Le sous-diacre Rikulf, qui ne se lassait pas de faire de nouvelles dépositions à l’appui des premières, et de multiplier les mensonges contre Grégoire et contre ses amis, était souvent conduit de la prison au palais du roi, où ses interrogatoires avaient lieu avec tout le secret observé dans les affaires les plus importantes[2]. Durant le trajet et au retour, une foule d’artisans, quittant leurs ateliers, s’assemblaient sur son passage et le poursuivaient de leurs murmures à peine contenus par l’aspect farouche des vassaux franks qui l’escortaient. Une fois qu’il revenait la tête haute, d’un air de satisfac-

  1. Igitur rex, arcessitis regni sui episcopis, causam diligenter jussit exquiri. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 263.) — Ibid., pag. 264.
  2. Cumque Riculfus clericus sæpiùs discuteretur occultè, et contra me vel meos multas fallacias promulgaret… (Ibid.)