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duites sans éveiller la moindre défiance ; des corps-de-garde furent établis, et des sentinelles placées à toutes les portes de la ville. Leur consigne était, non d’avoir les yeux tournés vers la campagne, pour voir si l’ennemi n’arrivait pas, mais d’épier l’évêque à la sortie, et de l’arrêter s’il passait sous un déguisement quelconque ou en équipage de voyage[1].

Ces dispositions stratégiques furent inutiles et les jours se passèrent à en attendre l’effet. L’évêque de Tours ne paraissait nullement songer à prendre la fuite, et Bérulf se vit réduit à manœuvrer sous main pour l’y déterminer ou lui en suggérer l’idée. À force d’argent, il gagna quelques personnes de la connaissance intime de Grégoire, qui allèrent l’une après l’autre, avec un air de vive sympathie, lui parler du danger où il était et des craintes de tous ses amis. Probablement, dans ces insinuations perfides, le caractère du roi Hilperik ne fut pas ménagé ; et les noms d’Hérode et de Néron du siècle, que bien des gens lui appliquaient tout bas, furent prononcés impunément cette fois par les agens de trahison[2]. Rappelant à l’évêque les paroles de l’Écriture-Sainte : Fuyez de ville en ville devant vos persécuteurs, ils lui conseillèrent d’emporter secrètement les objets les plus précieux que possédait son église et de se retirer dans l’une des cités de l’Auvergne, pour y attendre de meilleurs jours. Mais soit qu’il soupçonnât les vrais motifs de cette étrange proposition, soit qu’un tel avis, même sincère, lui parût indigne d’être écouté, il resta impassible et déclara qu’il ne partirait point[3]. Ainsi, il n’y eut plus aucun moyen de s’assurer corporellement de cet homme auquel on n’osait toucher à moins qu’il ne se livrât lui-même ; et il fallut que le roi prît son parti d’attendre de l’accusé qu’il voulait poursuivre judiciairement, une comparution volontaire. Pour l’instruction de ce grand procès, des lettres de convocation furent adressées, comme dans la cause de Prætextatus, à tous les évêques de Neustrie. Il leur était enjoint de se trouver à

  1. Ponunt portis dolosè custodes, qui civitatem tueri adsimulantes, me utique custodirent. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 262.)
  2. Chilpericus, Nero nostri temporis et Herodes. (Ibid. lib. vi, pag. 290.)
  3. Mittunt etiam qui mihi consilium ministrarent, ut occultè adsumtis melioribus rebus ecclesiæ, Arvernum fuga secederem ; sed non adquievi. (Ibid., lib. v, pag. 263.)