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bares avaient empruntée à la cour impériale[1]. Il y parvint en peu de temps, servi par son heureuse étoile, car il avait plus d’audace et de forfanterie que de finesse d’esprit et de véritable habileté. Dans ce poste, qui le plaçait au niveau non-seulement des hommes libres, mais des nobles de race franke, il oublia complètement son origine et ses anciens jours de servitude et de détresse. Il devint dur et méprisant pour tous ceux qui étaient au-dessous de lui, arrogant avec ses égaux, avide d’argent et de toutes les choses de luxe, ambitieux sans frein et sans mesure[2]. Élevé par l’affection de la reine à une sorte de favoritisme, il s’entremettait dans toutes ses affaires et en tirait d’immenses profits, abusant sans aucune retenue de sa facilité et de sa confiance[3]. Lorsqu’elle mourut au bout de quelques années, il était déjà assez riche de ses rapines pour pouvoir briguer, à force de présens, auprès du roi Haribert l’emploi qu’il avait exercé dans la maison de la reine. Il l’emporta sur tous ses compétiteurs, devint comte des écuries royales ; et, loin d’être ruiné par la mort de sa protectrice, il y trouva le commencement d’une nouvelle carrière d’honneurs. Après avoir joui un an ou deux du haut rang qu’il occupait dans la domesticité du palais, l’heureux fils du serf de l’île de Rhé fut promu à une dignité politique, et fait comte de Tours, l’une des villes les plus considérables du royaume de Haribert[4].

L’office de comte, tel qu’il existait dans la Gaule depuis la conquête des Franks, répondait, selon leurs idées politiques, à celui du magistrat qu’ils appelaient graf dans leur langue, et qui, dans chaque canton de la Germanie, rendait la justice criminelle, assisté des chefs de famille ou des hommes notables du canton. Les relations naturellement hostiles des conquérans avec la population des

  1. Hinc jam obsessus vanitate, ac superbiæ deditus, comitatum ambit stabulorum. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.) — V. Ducange, Glossar. voce comes.
  2. Quo accepto, cunctos despicit ac postponit : inflatur vanitate, luxuria dissolvitur. (Ibid.)
  3. Cupiditate succenditur, et in causis patronæ alumnus proprius huc illucque defertur. (Ibid.)
  4. Cujus post obitum refertus prædis, locum ipsum cum rege Chariberto oblatis muneribus tenere cœpit. Post hæc, peccatis populi ingruentibus, comes Turonis destinatur. (Ibid.)