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ridicule, d’une impuissance qu’il n’oserait avouer ? ou bien M. Thiers travaille-t-il dans l’ombre à la réalisation de quelque vaste plan, qui étonnera la France et le monde ? ou garde-t-il, comme M. Mendizabal, un secret qui n’attend que le jour favorable pour se révéler ? À défaut de réponses précises, on se livre à des conjectures, et elles sont telles que M. Thiers, s’il est habile, fera bien de les dissiper.

En ce qui concerne les affaires de son département, on croit savoir, dans les réunions diplomatiques, que M. Thiers a tout-à-fait abandonné, en Grèce, le parti national, que soutenait M. de Broglie, et que ses premières notes et ses premiers entretiens tendaient à appuyer le parti russe-allemand. M. de Broglie avait refusé d’autoriser le troisième terme de l’emprunt grec, garanti par la France et l’Angleterre. Il motivait son refus sur le mauvais emploi fait par la régence des fonds des deux premières séries de l’emprunt de dix millions de francs. Les revenus publics de la Grèce, dans les trois dernières années, s’étaient élevés, d’après les comptes fournis par le gouvernement lui-même, à 34,000,000 de drachmes, qui, joints aux deux premières séries de l’emprunt, formaient une somme de 56,000,000 que le gouvernement grec avait eu à sa disposition en trois ans. Les dépenses de ces trois années s’élevaient, d’après les mêmes comptes, à 45,000,000 de drachmes, et ainsi il devait se trouver un excédant de 11,000,000 à la fin de cette période. Or, le budget de la Grèce présente, au contraire, un déficit de plusieurs millions, et le roi de Bavière a mis opposition au trésor grec sur les fonds de l’emprunt, pour une somme de 1,000,000 de drachmes et plus, pour laquelle il se porte créancier de son fils Othon.

Le roi Louis ne porte pas en ligne de compte les marbres, les statues et les monumens dont la Grèce se dépouille chaque jour pour enrichir les musées de la Bavière, et qu’on exhume à grands frais ; les troupes bavaroises qu’on entretient même en Bavière comme réserve, et les présens prodigués à la cour de Munich par la régence d’Athènes. M. de Broglie pensait avec raison que la France ne pouvait sanctionner ces désordres, et qu’elle ne devait pas surtout en supporter les inévitables suites. Il se décida à refuser l’émission de la troisième série de l’emprunt. Il est vrai que cette décision, un peu abrupte, comme la plupart des actes de M. de Broglie, n’ayant pas été concertée avec l’Angleterre, qui a garanti l’emprunt avec la France, il devint nécessaire de revenir sur cette mesure et de la modifier ; mais la protestation qui en résultait n’était pas moins un avertissement donné à la Grèce, et la manifestation de tout un système politique à l’égard de cette puissance. C’est cette politique que M. Thiers a ouvertement abandonnée ; le général Coletti, le chef du parti national en Grèce, n’a pas trouvé près de lui l’appui que lui prêtait M. de Broglie, et quelques révélations de la Gazette d’Augsbourg achèvent de nous apprendre que la Russie et la Bavière ne trouveront pas dans le ministre actuel des affaires étrangères un adversaire décidé à arrêter leurs envahissemens. Est-ce là le secret des réjouissances qui ont eu lieu à la cour de Saint-Pétersbourg, à la nouvelle de l’élévation de M. Thiers ? Ces faits, et quelques autres, sont-ils le fruit de l’appui donné à M. Thiers par