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DE L’ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS.

millions d’habitans fort rapprochés les uns des autres par leurs richesses, leur éducation, leur sens commun, et de surpasser les autres peuples par la rapidité de ses progrès ainsi limités, en attendant des révélations encore inconnues et de nouvelles mœurs.

De même qu’on peut exagérer chez un peuple le mérite de ses institutions, il faut prendre garde, chez un autre, d’attribuer à un trop grand nombre d’individus les honneurs de la science, des arts et d’une exquise politesse. Retranchez de la France quelques centaines d’hommes éminens, soit par la puissance inventive de leur esprit continuellement excité, soit par la brillante culture de leurs sentimens, précieuse aristocratie qui fait les révolutions et les lois bien plus que les usages, n’aurez-vous pas à peu près des Américains du nord ? Nous n’avons pas un territoire illimité, sans cesse ouvert à l’industrie, sans voisinage dangereux ni guerres, et régi par des lois ou des coutumes appropriées à une telle situation ; mais nous sommes déjà bien démocrates sans nous en rendre compte.

Peut-être ce mot démocratie vous effraie-t-il. Tâchez d’en trouver un meilleur, et sans nous enfermer dans l’étroit vocabulaire des partis, allons, s’il se peut, au fond des choses. Nous désignons de la sorte le mouvement qui égalise partout les conditions sociales, fait surgir dans la vie publique de nouvelles classes, les soumet provisoirement à un certain niveau de savoir, de moralité, d’industrie, dont la moyenne, supérieure sous beaucoup de rapports à ce qu’elle était autrefois, serait encore bien affligeante si la perfectibilité humaine ne nous venait en aide.

Pourquoi travestir la démocratie sous la livrée d’un seul peuple et d’un seul gouvernement ? Elle n’est pas plus républicaine que monarchique ou aristocratique ; elle n’est ni anglo-américaine, ni française. C’est une phase du genre humain, une tendance irrésistible et universelle qui continue à travers les temps. Ses formes varient avec les accidens de la situation des peuples ; sa nature et son but définitif ne varient pas, car tous les peuples sont composés du même élément, l’humanité.

S’il nous paraît puéril de déguiser les misères du pays auquel on appartient, nous ne saurions comprendre l’intérêt sérieux d’une attaque ou d’une apologie des institutions d’un pays quelconque, considérées comme types absolus de gouvernement. Quant à nous, nous sommes bien éloignés de chercher en dehors de la France les moyens réguliers de perfectionnement qu’elle possède ; mais tout grand peuple présente des inconvéniens à éviter, des exemples à consulter plutôt qu’à suivre, et nous croyons qu’il devient un sujet d’études plus utile, à mesure que de communes destinées démocratiques mettent en évidence, dans la gestion de ses affaires, quelques-uns des problèmes qui intéressent notre pays. L’émancipation de la race noire est un de ces problèmes. Nous venons de montrer qu’il est plus facile à la France qu’à l’Amérique de le résoudre,