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DE L’ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS.

Il est évident que l’Amérique ne peut que compléter les exemples qu’elle a déjà donnés. Avant l’émancipation réalisée par les états du nord, on ne supposait pas qu’une telle entreprise pût être libre et volontaire de la part d’un gouvernement local. Mais en 1789, New-York, par exemple, pouvait aisément affranchir ses noirs, trente-quatre fois moins nombreux que sa population blanche. On conçoit également qu’en 1823, une constitution libératrice des deux races a dû rencontrer peu d’obstacles à la Colombie, où l’on comptait à peine un esclave pour trois hommes libres. Aujourd’hui, les esclaves, en minorité dans l’Union américaine, sont en majorité dans la Caroline du Sud et la Louisiane. Leur nombre égale à peu près celui des maîtres dans le Mississipi, la Floride et la Georgie. Or, partout où se rencontrent de telles proportions entre les deux races, les blancs, numériquement égaux ou inférieurs au reste de la population, forment à eux seuls la majorité qui administre, gouverne, vit de l’esclavage et par conséquent le maintient. Là au contraire où les planteurs sont en minorité dans le gouvernement aussi bien que dans la population, l’esclavage disparaît bientôt, parce que ceux qui n’en profitent pas ont toujours intérêt à le supprimer.

Dès leur origine, les Américains du nord ont eu cet avantage sur les Américains du sud, et ils n’ont cessé de propager la réforme qu’ils avaient opérée dans leur propre sein. C’est ainsi que l’esclavage a cessé dans douze états qui renferment près des trois cinquièmes de la population libre de l’Union, et qu’il décroît sensiblement dans le Maryland, la Georgie, la Delaware, la Virginie, le district de Colombie. Les territoires situés entre le 38e et le 39e degré de latitude, où l’on croyait naguère que la race noire pouvait seule travailler, se peuplent tous les jours d’un plus grand nombre d’ouvriers blancs. Il est vrai que ces conquêtes de la civilisation ne doivent pas être immédiatement attribuées aux principes démocratiques de la Nouvelle-Angleterre, à son influence morale, mais à la supériorité du travail libre sur le travail esclave. L’expérience a démontré que le cultivateur qui travaille pour lui, ou l’ouvrier blanc qui travaille librement pour un autre, moyennant salaire, produisent moitié plus que le noir travaillant pour son maître, sans intérêt personnel. Il en résulte que les denrées produites par un travail libre se vendent beaucoup moins cher. En même temps, celui qui opère avec des esclaves est obligé de donner au même prix ces denrées offertes à côté de lui avec un rabais, et dès-lors il est en perte. Il gagne moitié moins que précédemment, tandis que ses frais sont toujours les mêmes, c’est-à-dire qu’il est obligé de nourrir ses nègres, leurs familles, de les entretenir dans leur enfance, dans leur vieillesse et durant leurs maladies, sans pouvoir augmenter leur force productive pendant leur validité ; de là la nécessité