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LES NUITS FLORENTINES.

cillait sans poésie dans les yeux, et tressaillait sans passion autour des lèvres. Le jeune maestro semblait vouloir étaler dans toute sa personne cette douleur molle et flasque. Ses cheveux étaient frisés avec une sentimentalité si rêveuse, ses habits se collaient avec une langueur si souple autour de ce corps élancé ; il portait son jonc d’Espagne d’un air si idyllique, qu’il me rappelait toujours ces bergers que nous avons vus minauder dans les pastorales avec houlette enrubannée et culotte de taffetas rose. Sa démarche était si demoiselle, si élégiaque, si éthérée ! Toute sa personne avait l’air d’un soupir en escarpins. Il a eu beaucoup de succès auprès des femmes, mais je doute qu’il ait fait naître une grande passion. Pour moi, son apparition avait quelque chose de plaisamment gênant, dont on pouvait tout d’abord trouver la raison dans son mauvais langage français. Quoique Bellini vécût en France depuis plusieurs années, il parlait le français aussi mal peut-être qu’on le pourrait parler en Angleterre. Je ne devrais pas qualifier ce langage de mauvais : mauvais est ici trop bon. Il faudrait dire : effroyable ! à faire dresser les cheveux ! Quand on était dans le même salon que Bellini, son voisinage inspirait toujours une certaine anxiété mêlée à un attrait d’effroi qui repoussait et retenait tout ensemble. Ses calembours involontaires n’étaient souvent que d’une nature amusante, et rappelaient le château de son compatriote, le prince de Pallagonie que Goethe, dans son voyage d’Italie, représente comme un musée d’extravagances baroques et de monstruosités entassées sans raison. Comme en semblable occasion Bellini croyait toujours avoir dit une chose toute innocente et toute sérieuse, sa figure formait avec ses paroles le contraste le plus bouffon. Ce qui pouvait me déplaire dans ses traits ressortait alors avec d’autant plus de force ; mais ce qui me déplaisait n’était pas précisément ce qu’on pourrait appeler un défaut, du moins cet effet n’était-il pas ressenti au même degré par les femmes. La figure de Bellini, comme toute sa personne, avait cette fraîcheur physique, cette fleur de carnation, cette couleur rose qui me fait une impression désagréable, à moi qui préfère la couleur de mort ou de marbre. Ce ne fut que plus tard, après des relations plus fréquentes, que je ressentis pour lui un penchant réel. Cela vint surtout quand j’eus remarqué que son caractère était tout-à-fait bon et noble. Son ame est certainement restée sans souillure, au milieu