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des considérations fiscales. La France a consommé 65 millions de kilog. de sucre colonial, dont elle a retiré par l’impôt 31 millions de francs ou 48 fr. par 100 kilog. en moyenne ; mais elle a aussi consommé 35 millions de kilog. de sucre de betterave qui n’ont rien payé, et dont le ministre espère retirer avec une taxe de 16 fr. 50 c. la somme de 5,775,000 fr. C’est donc 37 millions environ que le trésor demande à une consommation de 300 millions de kilog. Certainement nous croyons cette consommation de 3 kilog. par personne, pour toute la France, susceptible de s’accroître encore, et la taxe moyenne n’est pas exagérée, mais la répartition de cette taxe entre les sucres des deux origines est-elle faite de manière à assurer l’existence des deux classes de producteurs ? Il sera impossible de le démontrer, tant qu’on n’aura pas concédé au sucre colonial la faculté de se diriger sur le point le plus avantageux pour lui, et qu’on n’aura pas laissé le colon se pourvoir pour ses consommations au meilleur marché possible. Alors seulement vous pourrez dire que la loi ne lui est pas onéreuse, car enfin, si l’on conserve des colonies, ce n’est pas, vraisemblablement, pour les faire lentement périr dans ses mains.

M. le ministre demande si nos colonies trouveraient à placer habituellement leurs produits sur les marchés étrangers, et, mal servi par ses renseignemens, il se hâte de répondre que les sucres de la Havane, de Porto-Ricco, des Antilles anglaises et de l’Inde, y mettraient un invincible obstacle. Que M. le ministre se rassure, s’il met nos colonies dans la situation où sont Cuba et Porto-Ricco, ou même les Antilles anglaises. Quant à l’Inde, mot bien vague et qui indique sans doute la vallée du Gange, le commerce de Calcutta a trop d’expérience pour ne pas savoir combien une augmentation de culture y est difficile à un prix qui rivalise avec celui des Antilles.

Le ralentissement de la production à la Jamaïque n’est pas la seule cause de la hausse des sucres. La production générale a de la peine à suivre la progression des consommations. Dans les pays producteurs, la variété des saisons et des causes locales ne laisse pas subsister chaque année le chiffre normal des récoltes. Ainsi, il y aura cette année un déficit dans la Louisiane, et déjà les marchés des États-Unis en sont affectés. Des qualités de sucre, analogues à celles des Antilles, valaient à New-York, le 16 mars dernier, de dix dollars et demi à 11 dollars et demi les cent livres, ce qui, en tenant compte des différences de condition à la vente, représente une moyenne de 103 fr. 35 c. les 100 kilog. en entrepôt, par comparaison avec notre cours de 73 fr. 50 c. au Havre. On peut juger par là des avantages qu’auraient nos colons à obtenir le choix de leurs marchés. Le ralentissement de la culture à la Jamaïque, et l’accroissement dans l’Inde, qui, selon M. le ministre, s’annulent l’un par l’autre,