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THOMAS MORUS.

dans le bill de conviction d’Élisabeth Barton et de ses complices. Cette Élisabeth Barton, appelée la sainte fille de Kent, était une fille sujette aux spasmes, qui débitait, dans un langage mêlé de vers et de prose, des paroles incohérentes dont quelques moines s’imaginèrent de faire des oracles. On lui fit prédire la ruine de l’Angleterre et la mort prochaine de Henry VIII, s’il consommait son mariage avec Anne de Boleyn. Cette fille avait écrit à Morus, alors chancelier ; mais Morus, sans vouloir l’entendre, lui avait conseillé de ne plus prédire et de se guérir. Questionné, dès le commencement, par le roi sur ce qu’était cette pauvre créature, il en avait parlé comme d’une fille simple et sans malice, dont les prédictions ressemblaient à toutes les folies qui peuvent sortir d’une tête malade. Depuis lors, dans le plan de destruction des monastères et des abbayes proposé par Cromwell, comme on eut besoin de trouver de grands coupables dans les personnes pour justifier la guerre contre les choses, on accusa de haute trahison les moines qui avaient exploité la fille de Kent, qui, peut-être, y avaient cru. Or dans le bill on comprit Fisher, parce qu’ayant écouté cette fille, il l’avait dû nécessairement souffler, et Morus, parce que ne lui ayant pas fait son procès, il s’était implicitement déclaré son complice.

Quelques jours avant la présentation du bill au parlement, Morus écrivit au secrétaire Cromwell, pour lui demander de vouloir bien en parler au roi, et obtenir que son nom fût rayé du bill. Il niait avec fermeté toute intelligence avec les rêveries de la prétendue prophétesse. Soit que Cromwell, qui ne voulait pas la perte de Morus, mais qui voulait encore moins déplaire au roi, y eût mis de la tiédeur, soit que tout conseil de douceur au sujet de Morus fût désormais offensant pour Henry, le nom de l’ancien chancelier fut maintenu sur le bill. Alors Morus s’adressa directement au roi, et, dans une lettre pleine d’humilité[1], prosterné à ses gracieux pieds, selon son humble manière, il le pria de ménager sa pauvre honnêteté, et de considérer, avec sa prudence et sa bonté accoutumées, une matière qu’il ne croyait pas convenable de discuter avec lui. Il insistait sur cette prière de bien considérer la chose, et c’était, sous une forme suppliante, un conseil blessant ; car à force de solliciter

  1. English Works, 1424 F.