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LE SALON.

de plus, et si on en voyait davantage, la composition y perdrait moitié. M. Isabey n’a pas fait cette faute, qui nuit à M. Le Poittevin. Aussi produit-il le plus grand effet, et cet effet est un tour de force. Quelle difficulté n’y avait-il pas à fixer l’attention sur ce mort, qu’on lance dans la mer par une fenêtre ! Et quelle autre difficulté à ce que la petite dimension et la position même du mort, attaché sur une planche, n’eussent rien de ridicule ! Qu’il était aisé d’échouer, et d’arriver à un résultat d’autant plus fâcheux, que la prétention eût paru plus grande ! M. Isabey a plus que réussi ; il a trouvé moyen d’être sérieux, là où bien d’autres auraient été mesquins. Quand on regarde ces flots houleux, battus par le roulis, ce ciel sombre, cette cérémonie imposante, tout cet appareil religieux, on se sent pénétré de tristesse. Je ne sais de quelle angoisse invincible on est saisi à l’aspect de ce cadavre, qui, enveloppé d’un linceul blanc, au bruit du canon et devant tout l’équipage, descend solennellement dans la mer ! Il semble que ce bâtiment va fuir, que cette planche va tomber, et que l’abîme, troublé un instant, va se refermer en silence.

Tous ceux qui ont lu la belle description de Constantinople, dans le Voyage en Orient, s’arrêtent avec intérêt devant le tableau de Mme Clerget ; la multiplicité des détails, l’étendue du Bosphore, présentaient de grandes difficultés. Elles ont été heureusement vaincues par le talent original et distingué de l’artiste ; ce tableau se fait remarquer par de vaporeux lointains, par la transparence des eaux et l’exactitude du panorama. La Vue du lac de Genève, du même auteur, présente le même genre de mérite ; on regrette qu’il soit placé dans la partie sombre de la galerie, ce qui nuit à l’effet qu’il devrait produire ; les ouvrages de Mme Clerget doivent fixer l’attention des amateurs, qui, en peinture, apprécient avant tout la vérité.

Le Far-niente de M. Winterhalter me plaît tellement, que je n’ose dire jusqu’à quel point. Ce n’est pas que j’aie peur de faire l’éloge d’un tableau où le talent me paraît évident ; mais je crains que les beaux yeux d’une certaine jeune fille qui est accoudée près d’une fontaine, ne m’aient tant soit peu tourné la tête. Cette jeune fille me semble admirable, et tout le reste à l’avenant. Des paysans sont couchés à l’ombre. Une femme, assise au pied d’un arbre, présente à son enfant un sein blanc comme le lait. Une autre, éten-