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LE SALON.

et puisque l’action est exacte, que voudriez-vous qu’il vous montrât entre les quatre jambes de son cheval ?

Ceci s’applique également à l’épisode de Friedland et à celui de Wagram. Le vrai talent de M. Vernet, c’est la verve ; à propos du premier de ces deux tableaux, je ne dirai pas : Voyez comme ce coucher du soleil est rendu, voyez ces teintes, ces dégradations, ces étoffes ou ces cuirasses ; mais je dirai : Voyez ces poses ; voyez ce général Oudinot qui s’incline à demi pour recevoir les ordres du maître ; voyez ce hussard rouge, si fièrement campé, ce cheval qui flaire un mort ; à Wagram, voyez cet autre cheval blessé, cette gravité de l’Empereur qui tend sa carte sans se détourner, tandis qu’un boulet tombe à deux pas de lui. À Fontenoy, voyez ce roi vainqueur, noble, souriant, ces vaincus consternés ; comme tout cela est disposé, ou plutôt jeté, et quelle hardiesse ! Certes il n’y a pas là la conscience d’un Holbein, la couleur d’un Titien, la grâce d’un Vinci ; ce n’est ni flamand, ni italien, ni espagnol ; mais à coup sûr, c’est français. Ce n’est pas de la poésie, si vous voulez ; mais c’est de la prose facile, rapide, presque de l’action, comme dit M. Michelet. En vérité, quand on y pense, la critique est bien difficile : chercher partout ce qui n’y est pas, au lieu de voir ce qui doit y être ! Quant à moi, je critiquerai M. Vernet lorsque je ne trouverai plus dans ses œuvres les qualités qui le distinguent, et que je ne comprends pas qu’on puisse lui disputer ; mais tant que je verrai cette verve, cette adresse et cette vigueur, je ne chercherai pas les ombres de ces précieux rayons de lumière.

La Bataille de Fontenoy m’amène à parler de M. Couder. Sa scène de Lawfeldt, considérée en elle-même et à part, est un ouvrage recommandable. Le roi et le maréchal de Saxe sont largement peints, et leurs habits sont en beau velours. Le vicomte de Ligonier et les soldats qui l’amènent forment un groupe sagement composé. Mais reconnaît-on sur cette toile la touche de l’auteur du Lévite ? pourquoi ce tableau, qui a du mérite, diffère-t-il si étrangement de son aîné qui le vaut bien ? est-ce une manière nouvelle que M. Couder vient d’adopter, et le premier tableau que nous aurons de lui sera-t-il fait dans cette manière ? non ; M. Couder a peint pour Versailles une Bataille de Louis XV, et il a cherché, dans son exécution, à se rapprocher des peintres du temps de Louis XV. Je suis fâché