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REVUE. — CHRONIQUE.

affaires étrangères, où les hommes portant un nom de quelque ancienneté, obtenaient immanquablement la préférence du ministre. Dans les derniers temps de l’administration de M. le duc de Broglie, les journaux français de l’opposition ont loué à juste titre lord Palmerston, au sujet de la nomination de M. Urquhart, plébéien distingué, au poste important de premier secrétaire d’ambassade à Constantinople. Lord Palmerston avait établi un heureux précédent, disait-on, en élevant rapidement ce jeune homme, inconnu dans les salons de l’aristocratie, et que recommandaient seulement son instruction et son talent. Rien de mieux ; mais la presse eût rempli plus complètement sa mission, si, en se montrant aussi éveillée sur les tendances honorables d’un gouvernement étranger, elle eût examiné en même temps la conduite bien différente de notre gouvernement. Eh bien ! il suffit de jeter un coup-d’œil sur la liste des nominations faites depuis cinq ans, pour s’assurer qu’un grand nombre d’hommes, tous semblables à M. Urquhart, ont été sacrifiés, comme par le passé, à de puériles considérations, bonnes tout au plus à Saint-Pétersbourg, où la diplomatie extérieure a cependant été dirigée bien long-temps par un homme sans naissance, M. Pozzo di Borgo. Dans les promotions qui ont eu lieu depuis 1830, et particulièrement sous les deux ministères de M. le duc de Broglie, quand des hommes appartenant à la classe de la bourgeoisie et parvenus par leur mérite, obtiennent la grace de sortir de l’inaction, et sont nommés à un poste diplomatique, c’est toujours dans les contrées les plus éloignées et sous les climats les plus pernicieux qu’on les envoie représenter la France. Leurs épreuves sont toujours incomparablement plus longues et plus pénibles que celles de leurs nobles compétiteurs, et l’on voit toujours ceux-ci parvenir aux postes les plus agréables, les plus élevés et les mieux rétribués de la diplomatie, tandis que les premiers sont relégués dans des villes obscures et sans autre importance que celle qu’un homme de talent confère toujours au poste qu’il occupe. Nous excepterons de cette catégorie M. Bresson, élevé au rang d’ambassadeur à Berlin par des circonstances particulières et fort heureuses, puisqu’elles ont mis en relief un homme de mérite, menacé comme tant d’autres de végéter inconnu.

Ici nous devons combattre un vieux principe qui semble avoir trouvé quelque crédit auprès de M. de Broglie, et dont les plus gothiques diplomates eux-mêmes reconnaissent aujourd’hui la fausseté. Il semble que l’aristocratie seule puisse représenter dignement la France auprès des cours étrangères. On fait peu de cas de la noblesse pour soi-même, dit-on : on sait aussi bien que personne qu’elle ne remplace ni le talent, ni l’expérience, ni l’instruction ; mais on ajoute que les souverains étrangers, les ambassadeurs qui résident près de leurs cours, et leurs ministres, n’ont d’égards et de condescendance que pour les hommes d’une haute naissance. C’est ainsi qu’on se justifie de préférer, en maintes circonstances, l’ignorance titrée au mérite bourgeois qu’on écarte avec une douleur réelle, et qu’on relègue dans des postes où il ne saurait se produire. Cette erreur est grande, et il est temps d’achever de la détruire. En France, comme ailleurs, on ne reconnaît, dans la diplomatie, que les services et l’ancienneté du rang. Dès qu’un de nos ambassadeurs