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étaient dédaignés. La diplomatie se fit alors de souverain à souverain ; nous ne savons de quelle nature furent ces négociations toutes autographes, quelles garanties on promit, quelles séductions on employa ; nous voulons seulement constater que ce fut la seconde période de notre diplomatie depuis le mois de juillet 1830. À la juger sous le point de vue constitutionnel, elle n’était pas régulière ; et c’était pour nous, non pas seulement un droit, c’était un devoir de la blâmer ; mais où était alors la régularité dans les affaires ? En un mot, c’est vers le commencement du premier passage de M. de Broglie par le ministère des affaires étrangères, que finit cette période, et que commence l’époque des relations plus régulières entre la France et les autres états ; relations où le ministère des affaires étrangères reprit une influence et une action, que le rétablissement des rapports de puissance à puissance rendait nécessaires et assez faciles à exercer, il faut en convenir.

M. de Broglie trouva l’alliance anglaise déjà consolidée ; les gouvernemens constitutionnels du midi s’établirent pendant son premier ministère, et vinrent se grouper autour des deux puissances protectrices unies. La Russie, encore fort altière, un pied sur la Pologne et l’autre sur la Turquie, s’apercevait cependant que le temps de nier la France et de la menacer était déjà passé pour elle. On avait renoncé à interdire la France, à l’isoler en Europe ; on sentait l’impossibilité de l’entourer d’un cercle de baïonnettes, et on rendait hommage à sa prépondérance et à sa force, en cherchant à l’affaiblir et à la ruiner par d’autres moyens. M. de Broglie, qui avait tant étudié les ressorts de la grande famille des états européens et les forces politiques de la France, semblait convenir admirablement à cette situation. La tâche du ministre des affaires étrangères s’était bien simplifiée. La main irresponsable qui s’était, en quelque sorte, emparée de ce département depuis la révolution de juillet, s’était retirée volontairement avec sa prudence ordinaire, après avoir ouvert à nos agens diplomatiques toutes les routes des capitales de l’Europe, que nous avions vues se fermer devant eux depuis 1830. Tout le personnel de l’ancienne diplomatie, où l’on trouvait des hommes capables et disposés à servir le gouvernement nouveau, était à la disposition du ministre. Le caractère de la royauté de juillet lui permettait de chercher de nouveaux agens en dehors des familles aristocratiques, à qui semblait dévolu le monopole des missions politiques et des ambassades. On pouvait recruter, pour ce corps diplomatique appauvri, dans les rangs élevés de la magistrature et du barreau, de l’administration de la guerre et de la marine, où l’on trouve tant de mérite, de dignité et de savoir. Ce n’était même pas déroger aux usages de notre monarchie, et Louis-Philippe pouvait bien prendre ses ambassadeurs dans les rangs où Louis xiv, Henri iv, et tant d’autres rois, étaient allés chercher les leurs. Avait-on oublié que Pierre Jeannin, ambassadeur et ministre d’état pendant plus de cinquante ans consécutifs, et sous sept rois de France, était le fils d’un obscur échevin de la ville d’Autun ? Le plus illustre de nos négociateurs, Armand d’Ossat, ambassadeur dans presque toutes les cours de l’Europe le fils d’un maréchal-ferrant ;