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plupart de ses compagnons étaient Limousins ; ils s’établirent dans la ville et lui imposèrent à la longue leur physionomie. Sans parler des noms de famille dont beaucoup appartiennent à la France, et des formes françaises dont l’idiome populaire est tout marqueté, les descendans des conquérans ont conservé le type physique de leurs ancêtres ; il est sensible surtout chez les femmes ; les Valenciennes ne ressemblent point aux autres Espagnoles. D’abord elles sont plus grandes ; ensuite elles ont le visage plutôt rond, et la peau remarquablement blanche ; beaucoup sont blondes, et les yeux bleus sont aussi communs que les yeux noirs.

La Huerta, au contraire, est restée maure, et j’affirme, après examen, qu’elle est plus maure que les fameuses Alpujarras du royaume de Grenade. Rien ne rappelle plus un paysan de Fez ou de Tétuan qu’un paysan valencien ; la ressemblance est frappante ; c’est à s’y méprendre ; et certes, le Maure d’outre-mer ne hait pas plus son voisin d’Europe que le Maure de la Huerta ne hait son voisin de Valence. Il y a toujours guerre entre eux, et les escarmouches sont fréquentes ; quand les habitans de la Huerta préméditent un coup contre la ville, ils se convoquent au son d’une conque marine qui est la terreur du citadin, c’est ce qu’on appelle le caracol, et il est tellement redouté, qu’il y a peine de mort pour quiconque est surpris donnant de ce cor de malédiction. C’est, comme on le voit, une espèce de landsturm, et c’est au son du caracol que les Français de 1808 furent massacrés par milliers.

Qu’on juge de l’effroi de l’assistance quand le voisin vint annoncer que la Huerta se levait, et que le caracol avait sonné.

— Le caracol ! fit le père en pâlissant.

— Le caracol ! dit la mère en se signant.

— Le caracol ! répéta chacun des fils en étreignant son fusil. Je ne vis jamais une pareille épouvante.

Le caracol, c’était le pillage, c’était l’incendie, c’était la mort. On annonçait en même temps qu’une tentative avait été faite pour enlever les déportés du Grao, qu’on entendait encore les coups de fusil, et pour combler la mesure des terreurs publiques, on ajoutait que la bande de Cabrera, forte de plus de six cents hommes, six cents forcenés, avait quitté la montagne et marchait sur la ville. Elle n’en était plus, disait-on, qu’à quatre lieues. Ainsi la place se trouvait assiégée de tous les côtés à la fois : dangers au dedans,