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animée et la plus brillante de Valence ; c’est là qu’est le café du Soleil, rendez-vous ordinaire des exaltados. Il y avait un nombreux rassemblement ; on y parlait avec véhémence.

— Est-ce un état social cela ? s’écriait un des orateurs les plus ardens. On nous ramène à l’état sauvage ; usons donc du droit de nature. Puisque le gouvernement ne peut ou ne veut pas nous faire justice de ces bandits, c’est à nous de nous la faire de nos propres mains. Les prisons en sont pleines, c’est à ceux que nous tenons, n’est-ce pas ? de payer pour les autres. Au lieu de cela, on n’a pas même songé à leur faire leur procès. Si on m’en croyait !… — Un geste significatif et le jurement classique des Espagnols achevèrent la phrase de l’orateur.

Il ne poussa pas plus loin son argumentation, et je vis bien, au murmure approbateur qui accueillit sa harangue, que la logique des auditeurs n’allait pas au-delà. Œil pour œil, dent pour dent, les partis en Espagne ne comprennent pas d’autre loi que la loi du talion. Ce soir-là cependant elle ne fut pas appliquée, et la nuit se passa sans évènement. L’alboroto de la place des Taureaux manqué, il s’agissait d’en organiser un autre, et c’est à quoi on travaillait presque publiquement. Qui aurait pu l’empêcher ? Trois jours entiers se passèrent en préparatifs. Les moines y assistaient, comme le condamné qui voit dresser son échafaud ; frappés de terreur, il y avait bien des nuits qu’ils ne dormaient pas dans leurs couvens et qu’ils se tenaient cachés dans des maisons amies. Toutefois l’évènement ne justifia pas leur épouvante : la foudre, long-temps balancée sur eux, alla tomber sur d’autres têtes.

Pendant que ce drame se préparait dans la coulisse, rien n’était changé sur la scène : on était alors dans la saison des bains de mer, et des nuées de tartanes (voitures du pays) ne cessaient de se croiser de la ville au Grao, du Grao à la ville. Le Grao est le port ou plutôt l’abordage de Valence, qui est à une demi-lieue dans les terres ; c’est là qu’on va prendre les bains. L’appareil est fort simple et quelque peu grossier ; car l’Espagnol ne tient point aux aises de la vie. Une mauvaise barraque de bois, bâtie sur la grève, sert de cabinet de toilette aux baigneuses ; elles se revêtent là d’un long sac de toile qui les couvre des épaules aux pieds, et c’est dans cette ingrate parure que les femmes les plus élégantes, les plus délicates, vont se jeter à la mer pêle-mêle et aux yeux de tout le monde.