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CHANTS DANOIS.

À la même tradition se rattache celle du chasseur qui revient toutes les nuits poursuivre le sanglier dans les bois, celle du tambour qui, à l’approche de l’ennemi, se réveille du sommeil de la mort pour battre encore la générale, et la chanson populaire d’après laquelle Bürger a fait sa Lénore.

À la même tradition, il faut joindre aussi celle d’Arthur, de Charlemagne, de Frédéric Barberousse, de Guillaume Tell, qui veillent encore dans les flancs des montagnes, laissant pousser leur barbe blanche, et attendant le jour où ils doivent reparaître pour secourir leur pays[1]. Le peuple est comme les individus attachés au souvenir de l’être qu’ils ont aimé : il ne veut pas laisser mourir entièrement ses bienfaiteurs et ses héros. Il les endort non loin de lui, il les berce au bruit de leurs louanges. Il espère qu’un jour, quand il les appellera, ils reviendront. Quel que soit le mérite littéraire des œuvres produites par ces traditions populaires, nous croyons que le sentiment religieux qui les a inspirées, le sentiment d’amour et de confiance sur lequel elles reposent, les rend dignes d’être recherchées et étudiées.


X. Marmier
  1. Frédéric Barberousse est enfermé dans une montagne du pays de Salzbourg ; avant qu’il reparaisse, sa barbe blanche doit faire trois fois le tour de la table devant laquelle il est assis. Un jour un berger s’égara autour de cette montagne, et fut conduit par un nain dans la grotte habitée par le vieil empereur.

    — Les corbeaux volent-ils encore au-dessus de la montagne ? lui dit Frédéric.

    — Oui, répondit le berger.

    — C’est bien ; j’ai encore cent ans à dormir.

    Quand Frédéric reparaîtra, il suspendra son bouclier à un arbre desséché. On verra l’arbre reverdir, et ce sera le signe d’une nouvelle ère, d’une époque de vertus et de félicité.

    Charlemagne est dans le Wunderberg, la couronne d’or sur la tête, le sceptre à la main ; sa longue barbe lui couvre toute la poitrine ; autour de lui sont rangés ses principaux seigneurs. Ce qu’il attend là, on ne sait ; la tradition dit que c’est le secret de Dieu.

    Cette tradition n’existe pas seulement pour Charlemagne, Arthur et les autres héros populaires du moyen-âge, elle remonte beaucoup plus haut. Saint Augustin dit qu’à Éphèse où saint Jean était enterré, on ne croyait pas que ce saint fût mort ; on le regardait comme endormi dans le tombeau qu’il s’était lui-même préparé, et attendant la seconde apparition du Seigneur. La preuve qu’il n’était pas mort, c’est que l’on voyait la terre qui couvrait sa tombe remuer de temps à autre, et suivre le mouvement de sa respiration.