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prédiction, s’écrie : « Qui donc trouble le repos de mon ame ? J’étais couverte de neige, mouillée par la rosée, trempée par la pluie. J’ai été long-temps morte. »

Une ballade écossaise raconte l’histoire d’un pauvre jeune homme mort de par-delà les mers, et qui s’en vient, pendant une nuit d’hiver, prier sa maîtresse de l’affranchir des sermens qu’il lui a faits[1] ; car, selon cette pieuse croyance, l’amour est plus puissant que la mort. L’ame de celui qu’une promesse d’amour enchaîne dans ce monde est inquiète et mal à l’aise dans le tombeau, jusqu’à ce que sa maîtresse le dégage de ses sermens ou le rejoigne dans le cimetière.

Dans une ballade magyare, une jeune fiancée, que son amour tourmente jusque dans le cercueil, vient enlever à son amant l’anneau qu’elle lui a donné[2]. Dans le Décaméron de Boccace, Lisabetta attend son amant, mais ses frères l’ont égorgé ; elle l’attend chaque jour, et le pleure chaque nuit. À la fin il apparaît lui-même le visage pâle et décomposé, lui annonce qu’il est mort, et lui montre l’endroit où il a été enterré[3]. Dans une ballade allemande, un amant vient lui-même annoncer sa mort à sa maîtresse. Il lui demande sa main ; mais au moment où elle la touche, elle meurt, et monte avec une couronne éternelle au ciel. Une autre ballade allemande, d’un caractère plus naïf encore et plus touchant, représente un pauvre petit enfant que sa mère pleure sans cesse, et qui se lève et vient lui dire : « Oh ! ma mère, ne pleure pas tant, car ma petite chemise est toute mouillée des larmes que tu verses, et je ne peux pas dormir dans mon tombeau. » Il faut citer encore cette tradition grecque de Protésilas, qui mourut au commencement de la guerre de Troie. Il soupirait tellement après sa femme Laodamia, que Pluton lui permit d’aller la revoir, et quand il la quitta, elle mourut. Sur le tombeau de Protésilas, on montrait encore, du temps de Pline, des peupliers qui, lorsqu’ils s’élevaient à la hauteur de Troie, dépérissaient tout à coup, et puis après commençaient à reverdir[4].

  1. Percy. T. iii, p. 126.
  2. Wackernagel. Altdeutsche Blatter.
  3. Il Decamerone. Giorn. 4, Novel. 4.
  4. Wackernagel. Altdeutsche Blatter.

    On pourrait multiplier à l’infini les exemples poétiques de cette croyance superstitieuse. Elle est répandue en Orient. Dans un conte arabe, une jeune fille quitte chaque nuit son cimetière et vient voir son amant. Les Études de M. Émile Souvestre sur la Bretagne nous ont appris qu’elle existe aussi dans cette province. On a pu lire dans ces Études une ballade d’un pauvre homme qui revient, après sa mort, travailler sur terre, pour acquitter une dette qu’il a contractée.