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Quelques pièces toutes pleines de merveilleux semblent renfermer un sens symbolique.

Une jeune fille pleure d’être séparée de son amant, un corbeau s’approche d’elle, et s’offre à la conduire auprès de lui, à condition qu’il s’emparera du premier enfant auquel elle donnera le jour. La jeune fille accepte. Elle devient mère, le corbeau accourt et réclame sa proie. En vain la malheureuse se jette à genoux, pleure, prie, se désole, et offre, pour rompre son affreux contrat, toutes ses terres et tout l’or qu’elle possède. Le corbeau est inflexible. Il s’empare du nouveau-né, lui crève les yeux, boit son sang, et à l’instant, de corbeau qu’il était, il devient un beau jeune homme, et l’enfant ressuscite.

Un paysan va bâtir une maison auprès de la demeure d’un nain des montagnes. Celui-ci s’irrite, assemble ses compagnons, et tourmente le paysan jusqu’à ce que le pauvre homme, réduit à la dernière extrémité, lui cède sa femme. Le nain l’embrasse, et soudain sa taille s’élève, son visage devient beau. C’est un chevalier que l’amour anoblit. C’est un fils de roi disgracié, auquel un baiser de femme rend une nouvelle vie.

Quelquefois aussi on trouve dans le Kampe-Viser certaines pièces, comme celle du Moine, qui ressemblent singulièrement à une satire religieuse.

Douze hommes à cheval s’en viennent attaquer le couvent ; le moine marche à leur rencontre avec sa massue et les écrase l’un après l’autre. Il s’égare dans la campagne, rencontre un magicien, le force à lui montrer ses trésors, et le tue. Puis il revient au couvent et massacre quinze pauvres moines, parce que la soupe n’était pas prête, et quinze autres parce que le poisson n’était pas frit. Après cela, il crève un œil à l’abbé parce qu’il retient trop long-temps la communauté à l’église. L’intrépide moine ne veut plus entendre parler de prières, de lecture ni de chants au lutrin, et les religieux, ravis d’une telle vertu, le choisissent d’une voix unanime pour leur supérieur. Il se met à la tête de l’abbaye et la gouverne pendant trente ans.

Quelques pièces ressemblent, comme nous l’avons dit, aux chants de l’Edda ; nous en citerons une, entre autres, qui se rapproche beaucoup de ce chant original de Sœmund, connu sous le nom de Marteau de Thor[1].

Tord de Meeresburg court à cheval à travers la plaine. Il perd son

  1. Dans l’Edda le récit est plus développé et présente des détails plus piquans encore. Là, c’est le dieu lui-même qui est mis en scène ; c’est le dieu Thor qui revêt les habits de fiancée. Dans le chant danois, tout a été réduit à des proportions plus humbles. La fable mythologique est devenue une fable humaine.