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pas parler. Avec qui le ranger ? de quelle école est-il le chef, cet homme qui se tient seul debout sur un pinacle désert, où les regards de l’intelligence peuvent seuls l’atteindre ? Est-ce un Italien, celui qui a écrit Don Juan et la Flûte enchantée ? Est-ce un Allemand, celui qui a fait le Mariage de Figaro et créé Chérubin ? Quelle induction voulez-vous tirer pour l’art de l’œuvre d’un homme qui a écrit comme jamais on n’avait écrit, et chanté comme jamais on ne chantera ? L’œuvre de Mozart se respire comme une fleur ou se contemple comme une étoile. Vouloir l’étudier serait folie ; il n’y a là ni calcul ni science : tout y est révélation pure. C’est à la nature qu’il faut demander la clé de ces mystères. L’oiseau qui vole ne laisse point la trace de ses ailes, comme l’homme qui marche la trace de ses pas. Quand les anciens voulaient rappeler un grand exemple à leurs contemporains, ils le prenaient parmi les hommes plutôt que parmi les dieux. Et c’est pourquoi je viens de citer Beethoven et Weber, plutôt que Mozart.

Chez les grands maîtres allemands, ce qui vous frappe d’abord, c’est le soin religieux qu’ils prennent à composer leurs personnages, à les tenir, le plus possible, à distance de la foule, afin qu’ils agissent librement, et vivent de leur propre vie ; à développer jusque dans ses moindres conséquences la passion dont ils ont déposé le germe dans leurs ames. Or, cette prétention de la musique aux qualités solides de la composition, chez un peuple dont la poésie est, la plupart du temps, vaporeuse et flottante, et d’habitude ne s’inquiète guère de la précision dans la forme, est, on ne peut le nier, une chose curieuse et qui pourrait, au besoin, servir d’arme contre cette opinion émise, que dans un pays la poésie et la musique ont toutes deux mêmes vertus et mêmes défauts. En effet, rien au monde ne ressemble moins aux caractères arrêtés de Weber que les personnages indécis de Schiller. Ils sont tous les deux frères, tous les deux enfans des brouillards et des vertes campagnes du Rhin, et pourtant l’un dessine, avec l’austérité antique du vieux Albert Dürer ; l’autre accuse à peine la ligne de ses figures adorables, qui se confondent presque dans l’éther lumineux qui les entoure. Schiller, homme de rêverie et d’inspiration, chante toujours comme s’il vivait sous le ciel bleu de Cimarosa. Maintenant voyez l’Italie ; là au contraire, ce sont les poètes seuls qui composent, et l’on s’explique à peine comment la patrie de Dante et de