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guenots, avec la manière terne, froide et commune, de certaines œuvres contemporaines, frappées de mort en naissant, pour voir quelle différence profonde il existe entre l’homme doué et l’homme qui sait, mais ne fait que savoir ; entre le praticien et le maître, comme disent les Italiens, qui, dans cette question, en valent encore bien d’autres, quoi qu’on en dise.

Cependant l’orchestre de M. Meyerbeer, tout grandiose et fort qu’il paraît, a le défaut de recourir trop souvent à certaines ressources, sans autre raison que le succès qui les a d’abord encouragées. On ne peut reprocher au compositeur d’employer les moyens les plus vastes que l’art ait mis à sa disposition, et pourtant, lorsqu’il en agit de la sorte, on est en droit d’exiger plus de lui. L’invention et la variété des formes rendent seules excusable la hardiesse de la tentative. Quand on se sert de moyens surnaturels, il faut parvenir à des effets sans cesse renaissans ; autrement pourquoi toucher à tout, accoupler les voix les plus dissemblables, remuer l’orchestre dans ses entrailles les plus profondes ? Pour que toutes choses soient égales et justes, il faut que la grandeur de l’œuvre réponde à la solennité de l’enfantement. Par malheur, chez M. Meyerbeer il n’en est pas toujours ainsi, et souvent son orchestre avorte au milieu des plus bruyans travaux, et, qu’on me passe l’expression, des plus laborieuses couches. En outre, M. Meyerbeer abuse étrangement de plusieurs effets, par exemple de ceux produits par la modulation. Ainsi, la belle transition de l’air d’Isabelle au quatrième acte de Robert-le-Diable, qui avait eu déjà le tort de se renouveler dans le magnifique trio final, se montre à chaque instant dans la partition des Huguenots, sans compter qu’elle est l’ame de toutes les pièces que M. Meyerbeer a écrites pendant l’intervalle qui a séparé la représentation de ces deux opéras, de Rachel et Nephtali, par exemple, et du Moine. L’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots a dans sa tête assez de richesses pour ne pas craindre de les dépenser, et dans son ame une volonté assez ferme pour anéantir toute inclination vers de faciles expédiens. Un musicien comme lui invente une forme, puis l’abandonne et la laisse aux esprits vulgaires qui s’en emparent pour en trafiquer ; car il est de petites gens qui se traînent à la suite des écoles et s’abattent sur tout ce qui tombe de la main du maître, comme des vautours sur leur proie. Une fois que l’homme de génie