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la modération des juges chargés d’appliquer ces lois, tantôt par des motifs généraux, par les inconvéniens qui résultaient du changement trop fréquent des lois, par l’impossibilité de faire sortir d’une assemblée de tous les sages réunis une loi pénale dont jamais un innocent n’eût à souffrir[1] ; principes d’un bon Anglais et peut-être d’un sage politique, mais qui démentaient certains passages de l’Utopie, concernant la disproportion des peines aux délits, où le Pacificateur avait pu prendre quelques objections contre les idées de Morus. Cet ouvrage, comme tous ceux de Morus, est plus abondant que bien construit et digéré, quelquefois éloquent, quelquefois plus subtil qu’éloquent ; l’habitude de la chicane y donne à la bonne foi la plus incontestable un faux air de casuisme. Une prière le termine, prière belle et charitable, où Morus demande à Dieu de pardonner à tous, mais où le disputeur se montre jusqu’à la fin, en exhortant les lecteurs à prier pour les ames du purgatoire, « qui existe réellement, dit-il, et dont le feu brûle comme celui de l’enfer, » quoique moins fort et pendant moins de temps.

Du reste, pas un mot dans cette défense sur les accusations déjà réfutées dans l’Apologie ; il ne s’y défend, si mes souvenirs ne me trompent, que de l’interminable longueur de ses écrits, dont le critiquaient les protestans, et avec trop de raison.

Je sais bien que toutes les doctrines de Morus menaient droit au meurtre juridique des hérétiques ; qu’il n’y avait pas loin de les assimiler, pour le crime, aux assassins et aux voleurs, à les y assimiler par la peine ; que l’homme qui approuvait que les évêques d’Angleterre livrassent les hérétiques au bras séculier, dût la mort s’ensuivre, s’associait moralement à ce qu’il ne blâmait pas : je sais que le moins qu’on risque en approuvant ce qu’on ne ferait pas, c’est d’être accusé de lâcheté ; je sais que les paroles qui absolvent le juge et le bourreau, sont bien près, à l’apparence, des actions qui tuent ;

Mais je sais que Thomas Morus n’a pas tué.

Je sais, pour parler de ce manque de logique, que si l’homme qu’on en accuse, n’a donné à personne le droit de le soupçonner de lâcheté, il ne reste plus qu’à admirer la sublime inconséquence d’un logicien qui, comme chrétien, prend sa part de toutes les respon-

  1. English Works, 1033 F.