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Outre cette première confusion, Morus en faisait une autre encore avec toute son époque, entre le mal fait aux corps et le mal fait aux ames. Il donnait à ces paroles de l’Écriture : Dieu a confié à chacun le soin de son prochain, un sens spirituel, entendant ce soin non du corps, mais de l’ame. Dès-lors les dommages faits à l’ame étaient assimilés à ceux faits au corps, le mal de la contagion religieuse au mal d’une invasion étrangère à main armée, le crime de l’occupation au crime du prosélytisme, enfin, par une extension épouvantable, le droit d’attaquer l’ennemi envahissant le territoire au droit d’attaquer l’hérétique envahissant la conscience[1]. Morus chancelier punissait dans un juge le simple soupçon d’hérésie comme un manquement à son devoir, et sur de simples informations secrètes, qu’il regardait comme des preuves suffisantes en cette matière, il lui ôtait sa charge[2]. Il voulait bien qu’on avertît les hérétiques, qu’on les réprimandât, mais non qu’on disputât avec eux[3]. Comparant l’hérésie à un chancre qui gagne la main qui le touche, il disait qu’aucun homme ne devait avoir le fatal courage de parler souvent à un hérétique, ni de se rencontrer souvent avec lui, « de peur que, comme la peste s’empare de la main du médecin qui veut la guérir, les hommes d’une foi faible ne fussent empoisonnés par l’hérésie à laquelle ils auraient touché[4]. »

Telle était sur l’hérésie et sur les hérétiques l’opinion de tous les chrétiens attachés à l’église romaine, de tous les catholiques spéculatifs, comme de tous ceux qui avaient de grands emplois dans les gouvernemens, et, sauf quelques amendemens, de tous les hommes graves qui, comme Érasme et ses nombreux partisans, n’acceptaient pas tout le détail de la pratique imposée ou non désavouée par Rome. Cinq ans après les premières attaques de Luther, tous les hommes de sens étaient bien moins frappés du droit que de l’abus du droit, et de la liberté de conscience que de ses désordres. Ceux qui différaient de l’opinion commune, sur la cause des excès des réformés, s’y rattachaient complètement quant à la gravité de ces excès et à la nécessité de les réprimer. Luther même, par un de

  1. English Works, 277 BBC.
  2. Apologie, 909 D.
  3. Refutation of the frere Barn’s Church, 831 G.
  4. Preface of the Answer to the first part of the Lord’s supper, 1036 AB.