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THOMAS MORUS.

tracer des figures dans la cendre ? Croyez-moi, il vaut mieux gouverner qu’être gouverné. »

Il y eut une conversation sur ce ton aigre jusqu’à la maison de Chelsea, que Morus croyait posséder pour la première fois. Lady Morus était une femme mondaine, et pour qui descendre du rang de femme du chancelier d’Angleterre au triste rôle de mère de famille dans la maison d’un homme disgracié, était un coup mortel. Elle blâmait donc avec amertume la conduite de son mari, qui n’avait jamais songé, disait-elle, étant chancelier, à pourvoir ses enfans, et qui quittait sa charge sans se soucier de leur avenir, préférant son loisir à sa famille. Morus, pour rompre ce sujet, se mit à critiquer sa toilette et à railler la pauvre femme du peu de soin qu’elle prenait de sa personne. Cela arrêta court lady Morus, qui, oubliant la démission pour ne penser qu’à ce nouveau grief, se tourna vers ses filles, et leur renvoyant le reproche, se plaignit qu’elles n’eussent pas remarqué ce qui manquait à sa toilette. Les filles répondirent qu’elles n’y voyaient rien à reprendre. « Eh quoi ! dit Morus en riant, ne voyez-vous pas que le nez de votre mère est un peu de travers ? » Lady Morus ne tint pas à ces derniers mots, et, quittant brusquement son mari et ses filles, elle rentra seule à la maison[1].

Dans toute cette raillerie, qu’on ne trouvera peut-être pas de très bon goût, parce que c’est par l’imagination, cette faculté de l’esprit humain qui varie sans cesse dans ses délicatesses et ses répugnances, que nous en pouvons apprécier la convenance, dans ce long jeu de mots, il semble que Morus n’élude la douleur que par l’ironie. Le rire qui blesse les autres ne vient jamais d’un cœur gai.

Bientôt il rassembla tous les officiers de sa maison, dont plusieurs étaient de bonne famille et gens de mérite, et il leur dit qu’il ne pouvait plus les garder, quelque désir qu’il en eût ; mais que, s’ils voulaient bien lui faire savoir quelle carrière ils se proposaient de suivre, ou si leur dessein était de s’attacher à quelque noble personnage, il ferait tous ses efforts pour les placer à leur contentement. Ceux-ci, les yeux en larmes, répondirent qu’ils aimaient mieux le servir pour rien que d’autres pour les plus beaux traitemens. Morus les consola, et après quelques jours, il les plaça tous très convenablement, les uns chez des évêques, les autres chez des lords.

  1. Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 186.