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THOMAS MORUS.

depuis qu’il s’était tourné contre le pape. Les choses n’en étaient pas encore venues au point où elles en vinrent plus tard, quand on vit saint Thomas de Cantorbéry accusé de lèse-majesté, et ses os, célèbres par trois siècles de miracles, enlevés de leur châsse, et brûlés en place publique ; mais c’était déjà hautement déplaire au roi, que de soutenir l’orthodoxie catholique dans un moment où le chef de cette orthodoxie était brouillé avec lui. La place n’allait plus être tenable pour Morus. Ne pouvant le faire parler, Henry voulait du moins le compromettre par son silence, en amenant une épreuve où ce silence ne pût être qu’une révolte ouverte ou qu’un acte de lâcheté. Il convoqua le parlement pour lui demander le subside de noces. Mais, avant d’obtenir l’argent, il fallait d’abord détruire l’effet d’un bref du pape, publié récemment en Flandres, et par lequel il était défendu à tous les archevêques, évêques, cours ou tribunaux, de rendre aucun jugement dans l’affaire du divorce. Il fallait répondre au bref par la lecture des consentemens extorqués aux universités de Cambridge et d’Oxford sur la légalité du divorce, et vanter le zèle d’hommes pour la plupart intimidés ou corrompus. C’était là l’épreuve où l’on attendait Morus. Il fut forcé, comme président de la chambre des lords, d’aller aux communes, avec un cortége de nobles et d’évêques, lire ces adhésions arrachées ou vendues, et en faire l’éloge comme d’opinions spontanées. Il s’acquitta de sa charge froidement, avec solennité, mais sans rien laisser pénétrer de sa pensée. Ce n’était ni de la révolte ni de la soumission, et Morus avait tiré sa conscience du piége que lui tendait Henry. Toutefois, ce rôle était trop équivoque pour un homme de tant de droiture, et cette épreuve trop menaçante pour que Morus la regardât comme la dernière. Il songea donc à se démettre des sceaux.

Il s’en ouvrit au duc de Norfolk, qui était de ses amis jusqu’à ce qu’il fût de ses juges, et il le pria de communiquer sa résolution au roi, alléguant quelques infirmités qui le rendaient incapable des fatigues de son office. Le duc, pensant qu’il y avait plus de péril à sortir qu’à rester, essaya de le faire changer d’avis. Il lui parlait en ami, car il n’y allait pas encore de sa sûreté à se tourner contre lui, et il voulait sincèrement le voir rentrer dans les bonnes graces du roi. Morus fut inflexible. Toutefois, pour éviter jusqu’au bout l’apparence d’une guerre, il pria le duc d’obtenir du roi qu’il lui fût