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l’Angleterre, plus l’Angleterre lui trouvait de titres à l’avoir, et de droits à s’en emparer. Placé entre deux tyrans impitoyables, le roi et l’opinion, l’un qui voulait sa honte, l’autre qui lui imposait une désobéissance glorieuse, Morus ne dut-il pas penser pour la première fois à s’en délivrer par le martyre ?

Sa place de chancelier, la plus riche de tout le royaume, entre les mains d’un homme qui en eût accepté tous les petits profits détournés et illicites, comme présens et épices de cliens, cette place, volontairement réduite par Morus au traitement qu’il recevait du roi, l’avait laissé pauvre comme auparavant. Les évêques d’Angleterre, pour la plupart, ardens catholiques, et dont quelques-uns même avaient usé contre les hérétiques des lois portées par les conciles, se cotisèrent pour offrir à Morus une somme de huit mille livres[1]. C’était, disaient les prélats, une faible récompense des services qu’il rendait à l"église et des longues veilles qu’il dépensait à ses ouvrages. Morus reçut la députation des évêques avec de grands témoignages de reconnaissance ; mais il ne voulut pas de leur argent. « Ce n’était pas, leur dit-il, une petite consolation pour lui que des hommes si savans et si sages voulussent bien être satisfaits de ses pauvres mérites, mérites dont il n’acceptait de récompense que de Dieu seul, à qui tout d’abord il en fallait rendre graces. Il remerciait leurs seigneuries d’une si grande marque de bonté et d’amitié ; mais il les priait de ne pas s’offenser, s’il n’acceptait pas leurs présens. » Les évêques voulurent offrir quelque chose à lady Morus et aux enfans. « N’en faites rien, milords, s’écria le chancelier ; j’aimerais mieux voir jeter tout cet argent dans la Tamise, que moi ou quelqu’un des miens nous en prissions un sou. Votre offre me fait le plus grand honneur, milords ; mais j’estime si fort mon plaisir et si peu mon intérêt, que, pour beaucoup plus d’argent que vous ne m’offrez, je ne voudrais pas avoir perdu le repos de tant de nuits passées dans ces travaux. Et pourtant, ajouta-t-il avec tristesse, je voudrais voir tous mes ouvrages brûlés et tout ce travail jeté au vent, si je pouvais obtenir à ce prix-là que toutes les hérésies eussent disparu. »

Henry viii, autrefois le frère d’armes de Morus dans la défense de la papauté, ne pouvait guère lui savoir gré de son zèle catholique

  1. Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 174