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loux, se sent à l’étroit ; sourcilleux vers l’avenir, il dirait presque au pouvoir suzerain duquel il a reçu trop tôt sa limite, comme certains amans héroïques dans Corneille : Oh ! que vous me gênez ! Aussi, dès qu’une occasion s’offre, il brise sa muraille, il envahit, il possède, il hâte et décore tout ce développement nouveau, il cherche à tout enserrer dans une muraille nouvelle qui soit encore marquée à sa devise et à son nom. La révolution de juillet a été une de ces occasions d’agrandissement légitime que n’ont pas laissée passer deux ou trois génies ou talens éminens ; eux du moins, ils ont secoué à leur manière leurs traités de 1815, et ils ont bien fait.

M. de Lamartine est un de ces génies. En politique, en pensées sociales, comme il dit, en religion, en poésie même à proprement parler, il a vu évidemment avec ardeur son horizon s’agrandir, et son œil a joué plus à l’aise, tout cadre factice étant tombé. Ses derniers écrits, discours ou chants, attestent cette aspiration nouvelle, quoique ses Harmonies, publiées avant juillet 1830, en puissent également offrir bien des témoignages, et quoique ce développement semble chez lui, comme tout ce qui émane de sa nature heureuse, une inspiration facile, immédiate, une expansion sans secousse, plutôt qu’un effort impatient et une conquête.

La grande épopée qu’il prépare, et dont nous possédons déjà mieux que des promesses, ne peut que gagner à ces mouvemens d’un si noble esprit. Désormais, on le voit, ce n’est plus par le côté des perspectives, ni par aucune restriction de coup-d’œil, qu’elle aurait chance de manquer. Le mot même d’épopée humanitaire a été prononcé dans sa préface récente par le poète. C’est à lui, doué plus qu’aucun du don divin, de savoir et de vouloir enclore dans la forme durable ces grandes idées dégagées, de faire qu’elles vivent aux yeux, et qu’elles se terminent par des contours, et qu’elles se composent dans des ensembles, qu’avoue l’éternelle Beauté. Mais tenons-nous en au gage le plus sûr, tenons-nous à ce que nous possédons.

On n’a à s’inquiéter en rien de la manière dont Jocelyn se rattache, comme épisode, au grand poème annoncé. Le prologue et l’épilogue font une bordure qui découpe l’épisode dans le tout, et nous l’offre en tableau complet ; c’est comme tel que nous le jugerons. — Jocelyn est un enfant des champs et du hameau ; malgré ce nom breton de rare et fine race, je ne le crois pas né en Bretagne ;