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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

cissent, éteignent leurs contemporains, les engloutissent tous et les confisquent, pour ainsi dire, en une seule gloire ; à moins d’être cela, ce qui, j’en conviens, est incomparable, il y a avantage encore, même au point de vue de la gloire, à naître à une époque peuplée de noms et de chaque coin éclairée. Voyez en effet : le nombre, le rapprochement, ont-ils jamais nui aux brillans champions de la pensée, de la poésie, ou de l’éloquence ? tout au contraire ; et, si l’on regarde dans le passé, combien, sans remonter plus haut que le règne de Louis xiv, cette rencontre inouie, cette émulation en tous genres de grands esprits, de talens contemporains, ne contribue-t-elle pas à la lumière distincte dont chaque front de loin nous luit ? Au siècle suivant de même. Et si, à un horizon beaucoup plus rapproché, et, dans des limites moindres, nous regardons derrière nous, a-t-il donc nui aux hommes qui président à cette ouverture de l’époque de la Restauration, à cette espèce de petite Renaissance, et qui composent le groupe de l’histoire, de la philosophie, de la critique et de l’éloquence littéraire, à cette génération qui nous précède immédiatement et dans laquelle nous saluons nos maîtres, leur a-t-il nui d’être plusieurs, — d’être au nombre de trois, rivaux et divers dans ces chaires retentissantes, dont le souvenir forme encore la meilleure partie de leur gloire ? Et ailleurs, dans la critique courante, dans la poésie, combien n’a-t-il pas servi aux esprits d’être en nombre, en groupes opposés ! et comme cela aide plutôt à la figure qu’à cette courte distance ils font déjà ! On est en effet, tous contemporains, amis ou rivaux, dans son époque, comme un équipage à bord d’un navire, à bord d’une aventureuse Argo. Plus l’équipage est nombreux, brillant dans son ensemble, composé de héros qu’on peut nommer, plus aussi la gloire de chacun y gagne, et plus il est avantageux d’en faire partie. Ce qui de près est souvent une lutte et une souffrance entre vivans, est de loin, pour la postérité, un concert. Les uns étaient à la poupe, les autres à la proue ; voilà pour elle toute la différence. Si cela est vrai, comme nous le disons, des hautes époques et des Siècles de Louis xiv, cela ne l’est pas moins des époques plus difficiles où la grande gloire est plus rare, et qui ont surtout à se défendre contre les comparaisons onéreuses du passé et le flot grossissant de l’avenir, par la réunion des nobles efforts, par la masse, le redoublement, des connaissances étendues, et