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baigneurs[1] ; et, après quelques mois d’une recherche assidue, tout ce qu’ils avaient ramassé de tous côtés, d’injures, de mauvaises chicanes, de propos de saltimbanques, d’indécences, de cynisme, de boue, de fange, ils en chargent l’impur cloaque qu’on appelle l’esprit de Luther. » Ici la traduction devient impossible[2].

Ces saletés, si elles avaient été écrites en manière de plaisanteries, et, comme dit le docteur Lingard, par amusement, souilleraient le caractère de Morus. Mais l’emportement du catholique en inspira les plus fortes, et c’est à cause de la passion sérieuse qui se cache sous ce misérable langage qu’on peut dire que l’esprit de Morus en a été seul souillé. Du reste, il y avait déjà dans cette ame un peu de la foi impitoyable qui relevait les bûchers en Allemagne et en France. Morus répandait contre Luther les premières amertumes de sa vie. Il avait laissé les livres profanes pour les livres de polémique religieuse, pour les Pères, qu’il lisait en avocat encore plus qu’en théologien, et pour y trouver des argumens contre la partie adverse, plutôt que pour y nourrir sa propre doctrine. À ses convictions de catholique fervent se mêlaient des convictions de plaidoirie et de barreau, reste de ses mœurs d’avocat, et je ne sais quelle subtilité malveillante, à laquelle n’échappent pas les hommes les plus honnêtes d’une profession dont les habitudes obscurcissent la conscience. L’auteur de la lettre à Martin Lorpion, en faveur d’Érasme et contre les ridicules des théologiens et des disputeurs, était descendu lui-même dans l’arène, pour y lutter de subtilité avec les plus subtils, de violence avec les plus violens. L’homme qui avait chassé d’Utopie les prédicans, les métaphysiciens, et toutes les mœurs de l’école universitaire[3], se faisait métaphysicien et thomiste intolérant, ergoteur non plus sur des mots qui amenaient tout au plus des mêlées, des coups de poings dans les écoles, mais sur des dogmes qui ôtaient la vie à des hommes. Ce retour vers l’intolérance attriste, mais n’indigne pas. Ne dirait-on pas que Morus ne défendît la foi romaine que comme le garant des espérances célestes qui allaient

  1. Aut cacator obscœnè loquutus sit.
  2. Quum colluviem totam, in libellum istum convitiatorium per os illud impurum, velut comesam merdam, revomuit. C. 2
  3. Utopie, p. 10 bis. C. 2.