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THOMAS MORUS.

qu’il doutât de sa santé, soit qu’il eût vu sa mort dans le regard sec et câlin de Henry viii, de jour en jour il s’accablait de nouveaux scrupules, multipliait et exagérait ses devoirs, redoublait d’austérités, comme s’il se fût cru à la veille de combattre le dernier combat. Et pourtant le ciel était encore serein et rien n’annonçait l’orage. Mais pour le chrétien l’orage est dans le ciel le plus pur, et la disgrace au fond de toutes les faveurs. Morus se tenait donc prêt à tout évènement[1]. Il s’arrangeait pour que les habitudes ne devinssent pas des besoins, et pour que la fortune changeant, les pertes ne fussent pas des privations. Il savait par l’histoire de son pays, qu’il avait étudiée dès sa jeunesse[2], comment les rois reprennent ce qu’ils ont donné, et il gardait au sein de la richesse les mœurs de la pauvreté, afin que, dans les mauvais jours, n’y ayant d’ôté que l’appareil de sa vie, le fond en demeurât le même.

D’ailleurs, ainsi que je l’ai dit, les écrits de Luther avaient réveillé sa foi distraite par les affaires, attiédie par la tolérance, et quelque peu inclinée vers le déisme de l’Utopie. Il fut secoué profondément par cette parole qui remuait toute la chrétienté, et contre laquelle les empereurs provoquaient des assemblées, et les papes lançaient des bulles. Une circonstance l’engagea de sa personne dans la lutte. On sait que Luther compta parmi ses antagonistes Henry viii, à qui Wolsey laissait tout le temps de joûter contre les hérétiques. Luther répondit à Henry viii comme il répondait au pape, en le traitant d’ignare, d’âne couronné, de blasphémateur, de bavard. Henry viii, après avoir, au préalable, demandé à l’électeur qui protégeait Luther de fermer la bouche à son antagoniste, riposta par un écrit sévère, dit le docteur Lingard, mais plein de dignité. On en attribuait les meilleures parties à Wolsey et à Fisher, évêque de Rochester. Morus, non plus, n’y était pas étranger. Quoi qu’il en soit, il se crut atteint en particulier par les injures lancées au roi, et tandis que Fisher, dans un écrit plein de doctrine, entreprenait la défense du livre de Henry, Morus, sous le nom supposé de William Ross, fit une réponse très déve-

  1. Ego animum mihi in omnem eventum composui. Lett. à Érasme. Corresp. d’Érasme, 570, A.
  2. On a de lui une assez faible histoire de Richard iii, en latin.