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gleterre, sa santé qui était plus délicate que forte ; et que la sobriété seule avait soutenue contre les fatigues du travail, et ses enfans qu’il voyait déjà si peu, qu’il ne verrait plus du tout. Toutes ses pensées s’étaient tournées depuis long-temps au soin de leur éducation. De ses trois filles, deux étaient déjà mariées, et les gendres demeuraient à Chelsea, avec toute la famille. Tous prenaient part à l’éducation commune, laquelle se composait de bien plus de choses que l’éducation moderne, et se prolongeait bien au-delà du temps qu’on y consacre. Quand Morus était à Chelsea, il dirigeait lui-même les travaux et aidait les maîtres particuliers qu’il avait donnés à ses enfans. Quand ses affaires le retenaient à Londres, il se faisait envoyer de Chelsea les devoirs, écrire des lettres sur des sujets littéraires, et il y répondait par des jugemens détaillés, quelquefois par des critiques, plus souvent par des encouragemens et des louanges. Il félicite quelque part ses enfans, les élèves de maître Nicolas, savant en astronomie, de connaître non seulement l’étoile polaire et l’étoile caniculaire, et toutes les autres constellations du ciel, mais, « ce qui prouve un astronome accompli, de savoir distinguer le soleil de la lune ; » puis tirant de l’époque où il écrit sa lettre une occasion d’exhortations pieuses : « Ne manquez pas, leur dit-il, quand vos yeux s’élèvent vers les étoiles, de vous ressouvenir du saint temps de Pâques, et de chanter cet hymne pieux où Boëce nous enseigne qu’il faut pénétrer dans les cieux par notre esprit, de peur que, tandis que le corps s’élève en haut, l’ame ne se ravale à terre avec les brutes. »

Ailleurs il s’agit de travaux purement littéraires, de la composition de leurs lettres : il leur conseille d’examiner avec grand soin ce qu’ils viennent d’écrire, avant de le mettre au net, de lire la phrase dans son ensemble, puis chacun de ses membres à part ; — l’avis était bon à une époque où les phrases avaient la longueur de pages ; — de corriger les fautes, de recopier la lettre et, après l’avoir recopiée, de la relire encore ; car les fautes qu’on a effacées sur le brouillon se glissent quelquefois dans la copie. « Par votre application, leur dit-il, vous gagnerez cet avantage que des riens finiront par vous paraître des choses très graves ; car comme il n’y a rien de si charmant qui ne puisse devenir déplaisant par le bavardage, de même il n’y a rien de si déplaisant de sa nature à quoi le travail ne puisse donner de la grace et de l’agrément. »