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THOMAS MORUS.

jours beaucoup trop ; ses principes arrêtaient son caractère, mais, comme il arrive, toujours trop tard. C’était une ambition molle, incertaine, prenant mal son temps, se laissant faire, n’étant jamais de moitié dans ses succès, et par conséquent paraissant les devoir tout entiers à la bonté du prince, lequel exigeait de la reconnaissance en proportion. Morus ne sut ni se défendre de la cour ni s’y mettre tout-à-fait. Là où il avait cru dans sa conscience ne prendre qu’un joug, on lui demandait le remerciement d’une faveur ; là où il n’avait fait que se laisser porter par faiblesse, on le traitait comme s’y étant poussé de toutes ses forces, et comme ayant, en quelque manière, usurpé le bien d’autrui. Un tel homme devait être déshonoré ou tué par un tyran du caractère de Henry viii ; déshonoré s’il cédait jusqu’au bout, tué à quelque point qu’il s’arrêtât. La fortune lui réserva le dernier sort. Sa mort fut le seul acte libre et volontaire de sa vie, le seul où son caractère et ses principes furent d’accord.

Ce fut Wolsey, parti de bien plus bas que Morus, qui présenta le jeune avocat au roi. Wolsey avait une supériorité rare dans un favori, celle de ne pas voir un rival et un successeur dans tout homme qui attirait l’attention de son maître. Morus, recommandé par lui, fut employé dans diverses ambassades, auprès de Charles-Quint et de François Ier. Ces places l’appauvrissaient et n’allaient pas à ses goûts : il s’y était laissé jeter comme plus tard, dans d’autres fonctions plus élevées, par cette ambition, ou plutôt cette disponibilité qui ne sait ni résister, ni choisir, et qui reçoit une corvée comme un avancement. « La place d’envoyé, écrivait-il à Érasme au retour de l’ambassade de Flandre[1], ne m’a jamais beaucoup souri. Elle nous convient moins à nous laïques et gens mariés, qu’à vous autres prêtres, qui n’avez chez vous ni femmes ni enfans, ou qui en trouvez partout où vous allez. Quant à nous, à peine absens depuis quelques jours, nous sommes rappelés au logis par le regret de nos femmes et de nos enfans. En outre, un prêtre peut emmener partout avec lui toute sa maison, et nourrir aux frais du roi ceux qu’il aurait nourris chez lui aux siens. Mais moi, j’ai deux maisons à soutenir, l’une à Londres et l’autre à l’étranger. Le roi s’est montré assez généreux pour ceux que

  1. Collect. des lettres d’Érasme et à Érasme, 221-222.