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REVUE DES DEUX MONDES.

Mais jusque-là, pour toi je pense, et te dirai
Qu’il te vaut mieux me suivre où je te guiderai ;
Je te ferai passer par l’éternel abîme
Où les anciens esprits, tristes, pleurent leur crime,
Et tu les trouveras atteints d’un tel remord,
Que chacun d’eux appelle une seconde mort.
Après eux, tu verras ceux dont le saint courage
Se soutient dans le feu, qu’ils savent un passage
Par lequel l’ame monte au séjour des heureux.
Tu pourras voir aussi ces derniers si tu veux[1]!
Mais je te quitterai, puis pour guide à ma place,
Une ame s’offrira digne de cette grace ;
Car l’empereur jaloux, qui là-haut fait la loi,
Repousse loin de lui tout rebelle à sa foi.
Il faut, pour le fléchir, qu’on l’adore et le craigne ;
Il commande partout, mais c’est au ciel qu’il règne,
C’est au ciel qu’est sa ville et son trône élevé,
Et quatre fois heureux celui qu’il a sauvé !…
Et moi je répondis : Poète, je te prie,
Par ce Dieu méconnu de ton idolâtrie,
Conduis-moi sans tarder au lieu que tu m’as dit,
Car j’ai hâte de fuir de cet endroit maudit.
Fais-moi voir de mes yeux la porte de saint Pierre,
Et ceux dont tant de pleurs ont brûlé la paupière.
Partout, où tu voudras me guider je te suis…

Lors il marcha devant, et moi je le suivis.


Alex. Dumas.



  1. C’est effectivement la marche adoptée par Dante pour son poème, puisqu’il visite d’abord l’enfer, ensuite le purgatoire, puis enfin le paradis.

    L’idée commune que Dante est inintelligible nous force de multiplier les notes. Qu’on pardonne donc à l’aridité de ce second travail dans lequel le style et l’intérêt ne peuvent se glisser qu’à grande peine, mais grace auquel, d’un autre côté, le lecteur peut suivre le poète dans les ténèbres de l’esprit théologique, si à la mode au xiiie siècle et au xive siècle, dans le labyrinthe historique dont une connaissance parfaite de ce pays peut seul donner le fil, et à travers cette Italie féodale que le proscrit a parcourue, le cœur brisé, les yeux en larmes, et le bâton de l’exil à la main.