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GUELFES ET GIBELINS.

frappée au cœur ; car elle se trouvait réunie à la barbarie septentrionale qui devait l’étouffer entre ses bras de fer. Cet homme que, dans leur orgueil, les Provençaux avaient l’habitude d’appeler le roi de Paris, à son tour les nomma, dans son mépris, ses sujets de la langue d’oc, pour les distinguer des anciens Français d’outre-Loire, qui parlaient la langue d’oui. Dès-lors l’idiome poétique du midi s’éteignit en Languedoc, en Poitou, en Limousin, en Auvergne et en Provence, et la dernière tentative qui fut faite pour lui rendre la vie, est l’institution des jeux floraux établis à Toulouse en 1323.

Avec elle périrent toutes les œuvres produites depuis le xe jusqu’au xiiie siècle, et le champ qu’avaient moissonné Arnault et Bertrand de Born, resta en friche jusqu’au moment où Clément Marot et Clotilde de Surville y répandirent à pleines mains la semence de la poésie moderne.

L’Allemagne, dont l’influence politique s’étendait sur l’Europe presqu’à l’égal de l’influence religieuse de Rome, toute préoccupée de ses grands débats entre le pape et l’empereur, laissait sa littérature se modeler insoucieusement sur celle des peuples environnans. Chez elle, toute la vitalité artistique s’était réfugiée dans ces cathédrales merveilleuses qui datent du xie et du xiie siècle. Le monastère de Bonn, l’église d’Andernach et la cathédrale de Cologne s’élevaient en même temps que le dôme de Sienne, le Campo-Santo, et Sainte-Réparata de Florence. Le commencement du xiiie siècle avait bien vu naître les Niebelungen et mourir Albert-le-Grand ; mais les poèmes de chevalerie les plus à la mode étaient imités du provençal ou du français, et les minnesingers étaient les élèves plutôt que les rivaux des trouvères et des troubadours. Frédéric lui-même, ce poète impérial, renonçant, quoique fils de l’Allemagne, à formuler ses pensées dans la langue maternelle, avait adopté la langue italienne, comme plus douce et plus pure, et prenait rang avec Pierre d’Alle Vigne, son secrétaire, au nombre des poètes les plus gracieux du xiiie siècle.

Quant à l’Italie, elle avait vu, du ve au xe siècle, s’accomplir sa genèse politique. Les Goths, les Lombards et les Francs s’étaient tour à tour mêlés aux indigènes, et avaient injecté le jeune sang de la barbarie dans le corps usé de la civilisation ; chaque ville avait reçu, dans cette grande refonte des peuples, un principe vital, qui sommeilla dans son sein pendant trois cents ans avant de voir le