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franchise on appelait le simple Lombard, et Dante Alighieri, homme alors très illustre, et qu’il vénérait à cause de son génie. »

Mais tout honoré qu’il était, le proscrit ne pouvait plier sa fierté à cette vie, et des plaintes profondes sortent à plusieurs reprises de sa poitrine. Tantôt c’est Farinata qui de sa voix altière lui dit « La reine de ces lieux n’aura pas rallumé cinquante fois son visage nocturne, que tu apprendras par toi-même combien est difficile l’art de rentrer dans sa patrie. » Tantôt c’est son aïeul Caccia Guida qui, compatissant aux peines à venir de son fils, s’écrie : « Ainsi qu’Hippolyte sortit d’Athènes, chassé par une marâtre perfide et impie, ainsi il te faudra quitter les choses les plus chères, et ce sera la première flèche qui partira de l’arc de l’exil. Alors tu comprendras ce que renferme d’amertume le pain de l’étranger, et combien l’escalier d’autrui est dur à monter et à descendre. Mais le poids le plus lourd à tes épaules sera cette société mauvaise et divisée avec laquelle tu tomberas dans l’abîme. » Ces vers, on le voit, sont écrits avec les larmes des yeux et le sang du cœur.

Cependant, quelque douleur amère qu’il souffrît, le poète refusa de rentrer dans sa patrie, parce qu’il n’y rentrait point par le chemin de l’honneur. En 1315, une loi rappela les proscrits à la condition qu’ils paieraient une certaine amende. Dante, dont les biens avaient été vendus et la maison démolie, ne put réaliser la somme nécessaire. On lui offrit alors de l’en exempter, mais à la condition qu’il se constituerait prisonnier, et qu’il irait recevoir son pardon à la porte de la cathédrale, les pieds nus, vêtu de la robe de pénitent, et les reins ceints d’une corde. Cette proposition lui fut transmise par un religieux de ces amis. Voici la réponse de Dante :

« J’ai reçu avec honneur et avec plaisir votre lettre, et après en avoir pesé chaque parole, j’ai compris avec reconnaissance combien vous désirez du fond du cœur mon retour dans la patrie. Cette preuve de votre souvenir me lie d’autant plus étroitement à vous, qu’il est plus rare aux exilés de trouver des amis. Donc, ma réponse n’étant point telle que le souhaiterait peut-être la pusillanimité de quelques-uns, je la remets affectueusement à examen de votre prudence. Voilà ce que j’ai appris par une lettre de votre neveu, qui est le mien, et de quelques-uns de mes amis. D’après une loi, récemment publiée à Florence, sur le rappel des bannis, il paraît