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Mais, privés de leur cavalerie, les Guelfes ne pouvaient tenir, puisque tous ceux qui étaient restés sur le champ de bataille étaient, comme nous l’avons dit, des gens du peuple qui, armés au hasard de fourches et de hallebardes, n’avaient à opposer à la longue lance et à l’épée à deux mains des cavaliers, que des boucliers de bois, des cuirasses de buffle, ou des justaucorps matelassés. Les hommes et les chevaux bardés de fer entraient donc facilement dans ces masses, et y faisaient des trouées profondes ; et cependant, animés par le bruit de Martinella qui ne cessait de sonner, trois fois ces masses se refermèrent, repoussant de leur sein la cavalerie allemande, qui en ressortit trois fois sanglante et ébréchée, comme un fer d’une blessure.

Enfin, à l’aide de la diversion que fit Farinata à la tête des émigrés florentins et du peuple de Sienne, les cavaliers arrivèrent jusqu’au carroccio. Alors se passa à la vue des deux armées une action merveilleuse : ce fut celle de ce vieillard auquel nous avons dit que la garde du carroccio était confiée, et qui avait fait jurer à ses sept fils de mourir au poste où il les avait placés.

Pendant tout le combat, les sept jeunes gens étaient restés sur la plateforme du carroccio, d’où ils dominaient l’armée ; trois fois ils avaient vu l’ennemi près d’arriver jusqu’à eux, et trois fois ils avaient tourné les yeux impatiemment sur leur père. Mais d’un signe, le vieillard les avait retenus ; enfin l’heure était arrivée où il fallait mourir ; le vieillard cria à ses fils : allons !

Les jeunes gens sautèrent à bas du carroccio, à l’exception d’un seul que son père retint par le bras : c’était le plus jeune, et par conséquent le plus aimé ; il avait dix-sept ans à peine, et s’appelait Arnolfo.

Les six frères étaient armés comme les chevaliers ; ils reçurent vigoureusement le choc des Gibelins. Pendant ce temps, le père, de la main dont il ne retenait pas son fils, sonnait la cloche de ralliement : les Guelfes reprirent courage, et les cavaliers allemands furent une quatrième fois repoussés. Le vieillard vit revenir à lui quatre de ses fils ; deux s’étaient couchés déjà pour ne plus se relever.

Au même instant, mais du côté opposé, on entendit de grands cris, et l’on vit la foule s’ouvrir. C’était Farinata des Uberti à la tête des émigrés florentins. Il avait poursuivi la cavalerie guelfe jusqu’à ce qu’il se fût assuré qu’elle ne reviendrait plus au combat,