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ministères des affaires étrangères et de l’instruction publique quel langage tenait dans son salon, et au milieu de ses intimes, le ministre de l’intérieur, quand cette question de la rente s’agitait ; non pas que M. Thiers fût un partisan très chaud de la réduction, mais il trouvait que c’était risquer son existence ministérielle sur un terrain bien mouvant, et il cherchait à se ménager un refuge, dans le cas où ses collègues succomberaient. C’est alors que M. Guizot et M. de Broglie s’adressèrent à l’éloquence et à la faconde de M. Thiers, passé maître en finances, d’ailleurs, grace à ses essais sur Law et aux fonctions qu’il remplissait sous le ministère de M. Laffitte. La défection de M. Humann ne laissait plus au cabinet que M. Thiers qui pût parler, avec quelque autorité, en matière de finances. Il fallut bien s’exécuter et prendre la parole à la chambre ; mais le discours du ministre se ressentit de l’embarras qu’il éprouvait, et ses chiffres, groupés d’ordinaire avec tant d’adresse et de décision, pouvaient aisément servir à rétorquer le discours ministériel. Le discours, tout entier, n’était qu’une longue équivoque ; M. Thiers semblait avoir choisi les plus faibles argumens ; sa parole, son geste, tout semblait dire à la chambre le peu de cas qu’il faisait d’elle, de ses collègues, de la question qu’il traitait, et de sa propre pensée. On sait ce qui advint. Une majorité de cent voix répondit, par un vote aussi foudroyant qu’inattendu, à ce discours ; et tout le banc des ministres fut emporté par la tempête ; tous ont été engloutis, c’est à peine si M. Thiers, cet habile nageur, pourra trouver entre deux eaux une planche de salut.

Cet évènement eut lieu le 5. Ce jour-là, on lut la note suivante dans le journal ministériel du soir : « Au sortir de la séance de la chambre des députés, tous les ministres se sont rendus aux Tuileries, où ils ont déposé leur démission entre les mains de S. M. » — Ce jour-là aussi, on vit venir chez le roi M. le duc Decazes, M. de Montalivet, M. Dupin et M. Humann. Dès le lendemain, M. le duc de Broglie donna l’ordre de déménager, et annonça l’intention de coucher le soir même à son hôtel. M. Guizot fit quelques dispositions, régla quelques affaires, se mit à jour, en un mot ; mais M. Thiers ne bougea pas ; il continua sa vie ministérielle comme par le passé, c’est-à-dire qu’il ne donna pas une minute aux affaires de son département.

Cependant le 6, on faisait déjà circuler une liste ministérielle. Sur cette liste, le maréchal Gérard figurait comme président du conseil et ministre de la guerre. M. Dupin, choisi par le roi pour composer un ministère, en avait offert la direction au maréchal Gérard, disait-on. Depuis, chaque jour, de nouvelles listes se succédèrent. Elles n’étaient pas exactes sans doute, et elles partaient même d’un principe faux, car le roi avait si peu chargé M. Dupin de lui choisir des ministres, que le spi-