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élevés, emplacement de l’antique Sélinonte ; ils portent maintenant le nom de Terra dei Pulci, et sont entourés par les rivières de Madione et d’Hypsa, dont les bords incultes sont couverts de roseaux.

J’étais impatient de voir les lieux où, suivant une obscure tradition, les Phéniciens avaient formé un de leurs premiers établissemens en Sicile, et où plus tard les Mégariens, conduits par Pammilius, construisirent la cité puissante qui devait être la rivale de Ségeste et d’Héraclée. Ma mémoire me retraçait les destinées terribles de cette ville, à laquelle se rattachent les noms redoutables d’Annibal et du farouche Alcamah ; qui, trois fois bâtie et trois fois détruite de fond en comble, vit ses habitans égorgés ou vendus comme esclaves, tour à tour par les Carthaginois, par les Romains et les Sarrasins, et qu’enfin les Normands firent rentrer dans le néant.

Au premier coup d’œil Sélinonte est loin de répondre à ces grands souvenirs, elle présente une vaste étendue de terrain couverte de débris de murs, de fragmens de colonnes, de corniches et d’architraves, au milieu desquels s’élèvent une grosse tour et deux ou trois misérables huttes servant de demeure au Guarda Costa et à sa famille.

En examinant les ruines avec plus d’attention, on y trouve les vestiges de la magnificence de Sélinonte. Le mur d’enceinte de la ville est bien conservé en plusieurs parties ; on voit les restes des deux portes du nord et du couchant. Cinq temples existaient dans l’intérieur de la cité, il y en avait trois placés hors de murs.

Deux des temples de l’intérieur sont petits et ont quelque ressemblance avec les monumens de Pompéï, sans doute ils datent du temps de la domination romaine ; les trois autres sont vastes et dans de nobles proportions. Placés sur la partie la plus élevée du col, comme pour servir de symbole à la protection des dieux réclamée par les Sélinontains pour leur ville, ils regardent l’Orient et sont symétriquement rangés les uns à côté des autres. Ils sont d’ancien ordre dorique, et leur architecture, grande dans son type, l’était également dans son exécution ; elle élevait ses monumens, non pas avec des pierres, mais avec des quartiers de rochers, dont la vue explique la superstition des Siciliens, qui attribuent la construction de ces édifices à une race de géans.

Le peuple qui savait imprimer aux temples de ses dieux un cachet aussi sublime devait être un peuple à idées nobles et généreuses.