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DE LA POÉSIE ÉPIQUE.

hymne, dithyrambe, cantique. C’est le cantique de Moïse aux sources de l’Oreb ; c’est Orphée ; ce sont les eddas scandinaves ; ce sont les litanies chrétiennes.

La poésie ne conserve pas immuablement cette forme sainte et sacrée ; elle ne reste pas toujours sacerdotale. La contemplation du culte ne l’enchaîne pas à jamais. À mesure que la foi des peuples est moins ardente, la poésie s’occupe d’un autre objet que de Dieu ; elle se sécularise, c’est-à-dire qu’elle entre dans ce monde de lutte et de division qui se rencontre dans tout ce qui n’est pas immédiatement divin. Or, de quelle manière est-elle et peut-elle être frappée du spectacle de l’univers ? Tout l’art est contenu dans cette question.

Il y a deux systèmes éternels sous lesquels la poésie peut comprendre le monde. Premièrement, en présence de la foule d’objets qui le composent et de leur lutte apparente, la poésie, voisine encore de son origine, peut réfléchir l’univers sous l’idée de l’influence et de la sagesse divine. Elle peut rechercher l’harmonie du créateur et de sa création, préférablement à la discorde. Elle peut être frappée de l’enchaînement des choses et de leur ordre éternel ; elle peut s’inspirer de l’idée d’harmonie et de providence sous des noms différens ; elle s’appellera alors la Poésie épique.

Secondement, elle peut n’être frappée que de la discorde de l’homme et de la nature, de l’homme et de Dieu, de l’homme avec lui-même. Elle recherchera les occasions de lutte avec autant de soin que la précédente recherchait le repos ; elle instituera un dialogue, ou plutôt une querelle nécessaire entre tous les objets qu’elle fera comparaître. L’idée du hasard ou de la fatalité la gouvernera, au lieu de l’idée divine. Les dieux eux-mêmes n’apparaîtront guère que vers la fin, au dénouement, pour mieux témoigner qu’ils étaient absens dans le reste de la pièce. Elle vivra de haines, de méprises ; elle s’agitera dans les ténèbres du cœur de l’homme ; elle s’appellera la Poésie dramatique.

Ainsi, deux aspects différens de l’univers et du Créateur, de la terre et du ciel, et deux ordres distincts de poésie qui sont réfléchis par l’histoire. Dans l’Orient primitif, l’humanité était encore, par sa pensée, trop près de son créateur, l’unité trop respectée pour que le drame pût s’y développer dans sa forme complète. La Bible est à la fois épique et lyrique. Il faut attendre la séparation