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LA CONFESSION D’UN ENFANT DU SIÉCLE.

là, il ressemble aux amoureux de tous les temps ; mais au plus beau de son rêve, un soir à souper, étant en face de sa maîtresse, sa fourchette tombe par hasard, il se baisse pour la ramasser, et voit… quoi ? le pied de sa maîtresse qui s’appuie sur le pied de son ami intime. Le réveil est affreux et soudain : Octave prend à l’instant même la maladie du siècle, comme on prenait autrefois la petite vérole après un brusque saisissement. Il quitte sa maîtresse, se bat avec son ami et est blessé ; guéri, il se jette dans la débauche, dans l’orgie, jusqu’à ce que la mort de son père l’en tire. Confiné alors aux champs, il y voit une personne simple, douce, plus âgée que lui, mais belle encore, un peu dévote, assez mystérieuse, Mme Pierson ; il en vient à l’aimer, à être aimé d’elle ; ici mille détails simples, enchanteurs, des promenades dans les bois, avec chasteté, puis avec ivresse. On le croirait guéri, heureux, fixé. Mais la vieille plaie du libertin se rouvre, elle saigne au sein de ce bonheur et le corrompt. La manière bizarre, capricieuse, cruelle, dont il défait à plaisir son illusion et la félicité de son amie, est admirablement décrite ; cela sent son amère réalité. Après bien des scènes pénibles, lorsqu’une réconciliation semble à jamais scellée, lorsque Brigitte Pierson consent à tout oublier, à tout fuir du passé, à voyager bien loin et pour long-temps avec lui, survient un tiers jusque-là inaperçu, l’honnête Smith qui aime involontairement Brigitte et se fait aimer d’elle. Octave s’en aperçoit, les interroge, découvre la souffrance de Brigitte, reconnaît que tant de coups qu’il lui a portés ont tué en elle cet amour où elle ne voit plus qu’un devoir. Il hésite, il est près de la frapper d’un poignard, mais le bon sentiment triomphe. Il se retire, il s’efface avec abnégation, il se rabat à une amitié sacrée. Smith et Brigitte partent ensemble en chaise de poste pour l’Italie. Cette conclusion, on le voit, nous ramène à une situation dont les Lettres d’un Voyageur nous avaient déjà donné l’idée.

Y a-t-il dans ce livre un dessin, une composition ? y a-t-il une intention morale et un but ? On ne peut méconnaître, dès le premier chapitre, que l’auteur n’ait voulu faire sortir de sa confession une moralité utile et sévère. Il a voulu, ce semble, montrer la plaie hideuse, profonde, long-temps incurable, que laissent au fond du cœur, et sous l’apparence de guérison, la débauche et la connaissance affreuse qu’elle donne de toute chose, et les instincts insatiables et dé-