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générale est spiritualiste, et en opposition les six siècles de l’ère moderne, dont la tendance générale est matérialiste.

Cette immense controverse a été nécessaire sans doute ; mais n’est-il pas temps de conclure ? Le spiritualisme et le matérialisme ont également vaincu et été vaincus ; tous deux ont raison, et tous deux ont tort.

Les matérialistes ont beau dire : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu. On peut toujours leur répondre avec Leibnitz : Nisi ipse intellectus.

Les spiritualistes ont beau préconiser l’intelligence et la raison ; on leur montrera toujours que cette intelligence et cette raison sont liées au corps, unies au corps, formées et nourries de sensations et de besoins corporels, assujetties à la santé du corps, à la vie du corps, à la nature, à la terre.

L’homme n’est ni une ame, ni un animal. L’homme est un animal transformé par la raison et uni à l’humanité.

Uni à l’humanité : ce second point de notre définition demanderait des développemens dont ce n’est pas ici le lieu. Contentons-nous de dire que, de même que l’animal ne saurait exister sans le milieu où s’exerce sa sensibilité, de même l’homme, être raisonnable, vit dans un certain milieu qui est la société, et dont le nom plus général est l’humanité. La morale, la politique, les sciences, les arts, sont les divers aspects que ce milieu présente à la raison et à la sensibilité humaine ; et c’est l’homme lui-même qui, par le développement successif de sa nature, a créé ce milieu.

Voilà ce qu’on n’a guère compris jusqu’ici, et ce qui a toujours trompé les raisonneurs, et les a conduits soit à l’abîme du spiritualisme, soit à l’abîme du matérialisme. Ne comprenant pas que l’homme est un être nécessairement uni à l’humanité, ils ont considéré l’homme en lui-même, sans se demander s’il y avait un milieu auquel cet homme fût indissolublement uni et dont il fût inséparable ; et alors, suivant leur tendance, ils n’ont vu en lui qu’un animal ou qu’un ange.

L’homme n’est ni bête ni ange, comme dit Pascal ; et il n’est pas seulement non plus un être complexe esprit-corps, il est de plus uni à l’humanité.

Ce qui était petit, ce qui existait à peine chez l’animal, la société,