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piterons-nous plus immédiatement dans le sein même de Dieu ? Avec Épicure, au contraire, nous attacherons-nous à la Nature ? comme Épicure lui-même, nous efforcerons-nous de calmer, de restreindre, d’endormir cette force qui aspire en nous, et tâcherons-nous de nous procurer artificiellement un sommeil accompagné d’un certain sentiment tranquille de l’existence ? ou bien, comme ses faux disciples, nous livrerons-nous, de propos délibéré, à une volupté qui, nous le savons, nous fuira sans cesse ?

Chose singulière ! on a beaucoup parlé dans ces derniers siècles de l’attraction ; on a voulu en faire la loi unique du monde de la matière. On a été plus loin, et on a prétendu introduire cette loi dans le monde moral, comme si le monde moral, une fois soumis à l’attraction, devait prendre cette assiette fixe et immobile que, par un préjugé absurde, on attribue à la nature physique. Il est vrai que ceux qui ont parlé de généraliser dans la société humaine ce qu’ils nomment la découverte de Newton n’ont jamais compris du monde moral que les apparences, et c’est encore une sorte d’attraction matérielle qu’ils ont voulu introduire dans le monde moral. Mais en réalité, ce système de l’attraction dans le monde spirituel existe depuis bien des siècles. Bien long-temps avant qu’on imaginât que les parties de la matière gravitaient les unes vers les autres, que les sphères du ciel étaient des centres d’attraction les unes pour les autres, et que les groupes de soleils gravitaient eux-mêmes vers des centres inconnus ; bien long-temps avant que le monde matériel se révélât à nous sous cet aspect, le monde spirituel nous était ainsi révélé. Qu’est-ce que cet attrait dont parle Platon, sous le nom d’Amour, et qui, suivant lui, nous ramène vers Dieu ? Saint Augustin n’a-t-il pas appelé l’Amour le poids des natures spirituelles[1] ? Tous les immenses travaux du Christianisme sur la perfection n’ont pas été autre chose qu’une application de ce principe de l’attraction vers Dieu.

Mais dans les derniers siècles le retour à la Nature a amené la renaissance des sciences physiques, dont le point culminant a été la découverte de l’attraction des corps. Cette vérité a tellement ébloui nos regards, que le monde spirituel, qui avait seul occupé pendant tant de siècles les générations précédentes, s’est éclipsé pour nous,

  1. Confessions, liv. xiii, ch. 9.