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Enfin, par la même raison, il est absurde de chercher, sous le rapport du bonheur, des termes de comparaison entre l’existence des animaux et celle des hommes.

D’un être à l’autre, le moi, la personnalité est différente.

Quand, dans la géométrie, vous cherchez le rapport entre des lignes d’ordre différent, vous arrivez à l’incommensurable ; si vous allez plus loin et que vous imaginiez de chercher, par exemple, le rapport entre des lignes et des surfaces, ou entre des surfaces et des solides, vous arrivez à des racines imaginaires.

Un premier point, donc, c’est que nous devons rejeter l’habitude aujourd’hui régnante de raisonner sur le sujet du bonheur en déduction du faux système des compensations. Rien de plus capable de nous affaiblir l’ame et de nous abrutir, que d’avoir toujours devant les yeux que la Providence nous doit à tous la même somme de biens et de maux, et que si notre part nous semble inférieure, nous avons le droit de nous plaindre ; rien de plus misérable que de faire ainsi dépendre uniquement notre être des choses extérieures ; rien de plus propre à nous rendre envieux et égoïstes ; rien de plus propre par conséquent à faire notre malheur. Cette prétendue philosophie du dix-huitième siècle ne ferait de nous que des lâches et des enfans.

Que le vulgaire considère ainsi le bonheur, comme dépendant uniquement des choses extérieures qui nous arrivent, cela se conçoit ; mais que des philosophes aient légitimé de leur autorité ce préjugé du vulgaire, cela est inconcevable : c’est comme si des savans venaient se ranger, sans aucune raison, à l’opinion du vulgaire sur les faits astronomiques.

Cette doctrine des compensations conduisait nécessairement à l’abandon de toute vertu. Car, le bonheur ainsi confondu avec la sensation, que restait-il à perfectionner en nous ? rien. Tout dépendait uniquement du Destin et des deux tonneaux de Jupiter.

Au contraire, en ressaisissant la vérité, nous reconquérons la vertu. En effet, puisque notre être, au lieu de consister dans les sensations, est ce qui les traverse et leur survit sans cesse, notre bonheur ne dépend donc pas uniquement des choses extérieures. La Philosophie revient, et avec elle la Vertu, qui est la suite de ses leçons.

Mais, s’il nous faut délaisser la doctrine de la sensation et des