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DE LA POÉSIE ÉPIQUE.

décidé. En remontant aux monumens épiques, qui sont, en partie, l’origine de la littérature française, on reconnaît trois formes principales : le vers de douze pieds et celui de dix pour les poèmes Carlovingiens, celui de huit pour les poèmes d’Arthur. Non-seulement les rimes y sont continues, mais on sait que la même rime se répète trente, quarante, et même cent fois. Au contraire, dans les poésies lyriques, une partie du talent des troubadours est employée à créer de nouvelles combinaisons dans le mélange et l’entrelacement des rimes. De ces faits, qui ne souffrent aucune notable exception, semble surgir en France la nécessité des rimes plates ou continues dans la versification héroïque. Il y a, en effet, dans cette répétition immédiate dont abusaient la poésie chevaleresque et arabe, un élément de tradition, un écho qui correspond parfaitement au caractère de l’épopée. Si les vers blancs étaient possibles en français, ils seraient admissibles dans tous les genres de poésie, hormis la poésie héroïque. Le caractère dont il est ici question est très bien marqué dans l’hexamètre des anciens. La chute uniforme de ces vers, le lourd spondée par lequel ils se terminent invariablement, correspond à la rime continue dans l’hexamètre moderne. Ainsi l’auteur a été conduit à n’admettre que les mètres d’origine héroïque, et à obéir partout à la loi de continuité de la rime, excepté dans les fragmens lyriques ; car, si l’ode et l’élégie appellent d’elles-mêmes l’harmonie entrecoupée, on remarque qu’elle ne fait qu’énerver le vers héroïque. Le désordre des assonnances dans l’ode de Malherbe convient au trouble réel de la poésie lyrique ; mais le vers épique doit avoir une toute autre constitution ; il doit pouvoir atteindre à tous les effets du dithyrambe sans se permettre aucun trouble apparent ; il faut qu’il ressemble à ces héros qui ne portent jamais sur leurs visages la marque des combats intérieurs. Son harmonie en sera plus rude et plus monotone, il est vrai ; mais son existence est à ce prix. Ce vers devrait être le moins complexe de tous, point chargé d’accessoires, ni jamais embarrassé dans sa pourpre ; il devrait être ferme et d’airain, naturellement grand, sans nécessité de se hausser à l’approche des grandes choses. Il faudrait qu’il fût à la fois populaire comme la ballade, naïf comme l’enfant, réfléchi comme le vieillard ; sans cesser d’être majestueux, il faudrait qu’il fût toujours simple et orné sans ornement.