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guérir de la douleur. Le plaisir pour eux n’était pas le plaisir, mais un remède ; et l’un d’eux, Métrodore, disait que les accidens fâcheux remplissaient tellement toute la trame de la nature et de la vie, que la nature ne saurait où mettre le bien et la joie si auparavant elle ne délogeait pas la douleur. Aussi la vraie secte d’Épicure faisait-elle consister la sagesse à savoir trouver un profond repos à couvert de tous les vents et de toutes les vagues du monde. C’est ce que Lucrèce a si admirablement exprimé, lorsqu’il parle de ce retour sur nous-mêmes et de ce plaisir égoïste que nous éprouvons quand du haut d’un rocher nous considérons la mer en furie et des vaisseaux près de s’engloutir :

Suave, mari magno, turbantibus æquora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem :
Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas,
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est.
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa, tua sine parte pericli.
Sed nihil dulcius est bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios, passimque videre
Errare, atque viam palantes quærere vitæ,
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti præstante labore,
Ad summas emergere opes, rerumque potiri.
O miseras hominum mentes ! o pectora cæca !
Qualibus in tenebris vitæ, quantisque periclis
Degitur hoc ævi, quodcunque est ! Nonne videre
Nil aliud sibi Naturam latrare nisi ut cum
Corpore sejunctus dolor absit, mente fruatur
Jucundo sensu, cura semota metuque
[1].

  1. « Il est doux de contempler du rivage les flots soulevés par la tempête et le péril d’un malheureux qu’ils vont engloutir. Non pas qu’on prenne plaisir à l’infortune d’autrui ; mais parce que la vue des maux qu’on n’éprouve point est consolante. Il est doux encore, à l’abri du péril, de promener ses regards sur deux grandes armées rangées dans la plaine. Mais de tous les spectacles le plus agréable est de considérer, du faîte de la philosophie, du haut de cette forteresse élevée par la raison des sages, les mortels épars s’égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou la chimère de la naissance, et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux, pour s’élever à la fortune ou à la grandeur. Mal-