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nus avant Dante, Arioste, Camoëns ! Pourtant leur œuvre, si elle a été sincère, n’a point été inutile. De même ici, si quelque chose, dans ce rude monument, mérite d’être conservé, l’avenir s’emparera de ses débris et leur imposera son sceau. Au lieu de chercher leurs sujets, si loin de nous, pourquoi tant de poètes en France et hors de France ne se voueraient-ils pas à ce sujet, qui est celui de tous les peuples et de toutes les nationalités contemporaines ? pourquoi ne reverrait-on pas autour de ce grand objet de l’amour et de la haine de tous une nouvelle lutte de rapsodes ou de trouvères ? Après avoir si bien combattu par le glaive, il semble que ce ne serait pas aujourd’hui une moins noble émulation pour les peuples que de s’engager ainsi dans cette lutte de poésie et de souvenirs nationaux.

Pour ma part, me trouvant par hasard un des premiers qui soit entré jusqu’au bout dans cette carrière, et n’y étant soutenu par aucun modèle consacré, j’ai dû reprendre et recommencer plusieurs fois ma tâche de la veille. Dans une vie presque toujours errante, je me suis appliqué à visiter le plus de champs de bataille qu’il m’a été permis de faire ; autant que je l’ai pu, je me suis informé du caractère des passions que chaque peuple a apportées dans sa lutte. Mon plus ferme désir, dans une occasion où il eût été si facile de se laisser absorber par la gloire d’un seul, a été de n’être injuste envers aucun. Ce sujet est un grand champ des morts où chacun doit reposer en paix dans son noble tombeau.

La première difficulté qui se soit présentée dans cet ouvrage a été la versification. Cette difficulté a été d’autant plus grande au commencement pour l’auteur, que n’ayant jamais écrit un seul vers depuis son enfance, il a rencontré dès l’abord des questions indécises encore dans l’art français. En effet, aucun monument n’a déterminé d’une manière irrévocable, en France, le caractère de la versification épique, ainsi que cela est arrivé pour le poème dramatique et lyrique. Corneille et Racine ont constitué le vers tragique. La stance lyrique a été fondée et réglée par Ronsard et par Malherbe. Mais il n’en est point ainsi de l’épopée. Quelle est, en français, la stance épique, et même une stance de ce genre est-elle possible ? Quel est le mètre ? Y en a-t-il un seul ou plusieurs ? Aucune de ces choses, à véritablement parler, n’est déterminée. Dans cette ignorance, voici les fondemens sur lesquels l’auteur s’est