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conclu avec un seigneur autrichien pour lui vendre votre femme ; voici votre première espérance de racheter le fief de Fougères, monsieur le comte, car voici la quittance de l’à-compte que vous avez reçu sur l’espoir du déshonneur de ma mère. Mais elle n’a pas voulu le consommer pour vous ni l’accepter pour elle-même ; voici la concession de cette maison de campagne où vous aviez consigné ma mère, pour la soustraire, disiez-vous, aux fatigues du commerce et rétablir sa santé délicate, mais, en effet, pour la placer sous la main du comte à trois pas de sa villa… Mais vous aviez compté sans le secours du chevaleresque Carpaccio, monsieur le comte. Malheureusement il rôdait autour du château de M. de Stagenbracht, lorsque les cris de ma mère, qu’on enlevait par son ordre et par votre permission, parvinrent jusqu’à lui. C’est alors que, par une tentative désespérée, trois contre dix, il la délivra et fit ce que vous auriez dû faire, en tuant de sa propre main le ravisseur. Si la reconnaissance de ma mère pour ce libérateur, et son admiration pour un courage intrépide, lui ont fait fouler aux pieds le préjugé du rang et manquer à des devoirs que vous aviez indignement souillés le premier, c’est à Dieu seul qu’appartiennent la remontrance et le pardon. Quant à vous, monsieur le comte, au lieu d’insulter les cendres de cette femme infortunée, c’est à vous qu’il appartient de baisser la tête et de vous taire, car vous voyez que je suis bien informée.

Le comte resta, en effet, immobile, silencieux, attéré.

— Je vous ai dit, continua Fiamma, ce que je devais vous dire pour l’honneur de ma mère ; quant au mien, monsieur, il me reste à vous rappeler que vous avez encore moins le droit d’y porter atteinte, car vous êtes un étranger pour moi, et non-seulement il n’y a aucun lien de famille entre nous, mais encore j’ai été élevée loin de vos yeux, sans que vous ayez jamais rien fait pour moi… Ne m’interrompez pas. Je sais fort bien que la crainte de voir ébruiter votre crime vous a disposé envers ma mère à une indulgence qu’un honnête homme n’eût puisée que dans sa propre générosité. Je sens que vous avez daigné ne point la priver du nécessaire, d’autant plus qu’elle tenait de sa famille les faibles ressources que je possède aujourd’hui. Je sais que vous ne l’avez point maltraitée et que vous vous êtes contenté de l’insulter et de la menacer. Je sais enfin que vous l’avez laissée mourir sans l’attrister de votre présence. Voilà