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moi ? M. Féline est-il à cela près ? Avec son immense réputation, ses larges profits, ses occupations multipliées, les mille occasions de faire sa fortune et de déployer son talent qui se présentent à lui sans cesse…

— Tous les jours, à toute heure, il n’est occupé qu’à remercier des cliens et à renvoyer des pièces.

— Eh bien ! comment ne peut-il pas faire le sacrifice d’une seule affaire, lorsqu’il y va d’intérêts aussi graves pour un ami ?

Hum ! pensa M. Parquet, M. le comte a lâché un mot bien fort, il tombe dans la nasse. Pour un ami, reprit-il, c’est beaucoup dire. Simon se moque de trois, de six, de douze affaires de plus ou de moins ; mais il n’est pas insensible à une méfiance injuste, à des soupçons injurieux.

— Au nom du ciel, expliquez-vous enfin, s’écria le comte avec vivacité, qu’ai-je fait ? qu’ai-je dit ? que me reproche-t-il ?

— Il faut donc vous le dire ?

— Je vous le demande en grâce, à mains jointes.

— Eh bien ! je le dirai. Il y a de la politique en dessous de ces cartes-là, monsieur le comte.

Parquet vit aussitôt qu’il approchait du joint, car malgré toute son adresse, le comte se troubla.

— Il y a de la politique, reprit Parquet avec fermeté et abandonnant toute son emphase ironique. Vos adversaires sont des plébéiens, des ennemis particuliers et assez en vue de la puissance ministérielle. Qui a droit ? nul ne le sait encore, ni vous, ni moi, ni vos adversaires. À chance égale, Simon aurait eu beaucoup de sympathie pour la cause des plébéiens, fort peu pour la vôtre : Simon n’aime pas les patriciens, et son opinion républicaine vous a fait peur. Simon n’eût peut-être pas entrepris votre cause, c’est possible, je l’ignore. Ce qu’il y a de certain, ce dont je réponds sur ma tête, c’est qu’au cas où il l’eût acceptée, il l’eût défendue avec loyauté, avec force, et, j’ose le dire, il l’eût gagnée. Mais vous avez craint un refus, ce qui est une faiblesse d’amour-propre ; ou bien vous avez craint quelque chose de pire, une trahison… Dites, l’avez-vous craint, oui ou non ?

— Jamais, monsieur Parquet, jamais ; je vous en donne…

— Ne jurez pas, monsieur le comte, vous l’avez dit à quelqu’un, et voici vos paroles : « Ces gens-là s’entendent tous entre eux ;