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connaît aucun seigneur), mais seulement des francs fiefs ou francs tenements, et des tenements en roture ou en villainage.

Lorsque Guillaume-le-Conquérant se fut rendu maître de l’Angleterre, il ne partagea pas, comme on l’a dit quelquefois, tout le pays entre ses compagnons ; mais il trouva dans les biens des chefs qui périrent à la bataille d’Hastings sans laisser d’héritiers directs, et dans ceux qu’il confisqua à la suite des révoltes qui éclatèrent dans le cours de son règne, de quoi doter amplement la plupart de ceux qui l’avaient suivi. Il est probable que ces terres leur furent données avec les conditions ordinaires du système féodal alors en vigueur dans la Normandie, c’est-à-dire sous la prestation de l’hommage et avec l’obligation de service militaire.

L’ancienne organisation militaire saxonne avait, comme de raison, cessé par le fait de la conquête ; l’intérêt du nouveau roi était évidemment de rompre les liens qui unissaient les diverses classes du peuple vaincu, et pouvaient donner à ses opérations, quand l’esprit national venait à se réveiller, un ensemble dangereux. Mais cet état de dissolution sociale avait aussi ses inconvéniens que le prince finit par sentir. En effet, dans la dix-huitième année de son règne, on eut quelque raison de craindre une invasion des Danois, et on s’aperçut alors que le royaume était absolument sans défense. Il fallut faire venir en grande hâte de Normandie et de Bretagne des troupes qu’on répartit sur les terres à la charge des propriétaires, qui en eurent beaucoup à souffrir ; le remède était presque pire que le mal, et les Saxons, qui avaient eu sans doute plus que leur part à porter dans ces nouvelles charges, furent tout aussi empressés que les Normands de voir prendre des mesures qui prévinssent le retour de ces incommodes garnisaires.

On convoqua donc un grand conseil pour délibérer sur l’état de la nation, et c’est là que fut résolue la rédaction d’un cadastre général, comme mesure préparatoire à la répartition des charges et du service militaire. Cette opération étant achevée l’année suivante, une seconde assemblée eut lieu, et les propriétaires, conformément à la résolution qu’ils avaient prise librement, remirent leurs terres au roi pour les tenir désormais de lui comme fiefs assujétis aux conditions de foi et hommage, service militaire, etc. Les seigneurs normands qui avaient eu une portion de terre équivalente à ce qui aurait constitué sur le continent une baronnie, devinrent vassaux immédiats de la couronne ; ceux qui ne possédaient que l’équivalent d’une chevalerie, furent considérés comme relevant d’une des baronnies voisines. Pour la partie des terres qui était restée entre les mains des anciens propriétaires, ce fut à peu près le même mode de distribution ; les seigneurs saxons qui étaient encore possesseurs de manoirs, devinrent aussi vassaux immédiats. Les manoirs et