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l’homme, l’individu existe véritablement, et à partir de quel endroit le tourbillon d’idées environnantes imite et continue l’image. Je sais qu’on peut dire la même chose de la Béatrix de Dante ; on ne sait trop où la personne, l’amante bien-aimée finit en elle, et où la Théologie commence. Mais pourtant, avec quelle précision italienne, avec quelle netteté lumineuse elle est peinte ! Et puis Napoléon était plus positif que Béatrix ; et tout en fondant savamment les vues accessoires et idéales avec la réalité, il aurait fallu que le principal du dessin portât sur celle-ci. Or, d’une part, ce Napoléon a beaucoup du héros féodal ; la multitude d’images de chevalerie qui parsèment la peinture, les termes de fauconnerie qui escortent son aigle impérial, nous figurent plutôt un baron, un conquérant du moyen-âge. D’une autre part, il se dore à l’excès des lueurs fantastiques de l’Orient et se brode à cet endroit d’arabesques sans nombre. Et puis l’idée sociale, prophétique, l’apothéose future de la démocratie en sa personne, se met à percer et à s’étendre. Entre ces trois reflets comme entre trois arcs-en-ciel radieux et pluvieux, entre Charlemagne ou Siegfrid, Bounaberdi et le peuple fait-homme, le Napoléon réel, vivant, qu’on a vu, qu’ont connu et admiré ceux de l’Institut d’Égypte, ceux du conseil d’État et de l’état-major, ce Napoléon-là disparaît trop. L’application détaillée qu’on pourrait faire de ces critiques, en analysant le poème, se conçoit aisément sans que nous nous y livrions.

Ce qui constitue le mérite, la vie de ce poème, ce qui place M. Quinet tout d’abord au plus honorable rang parmi les poètes en vers de nos jours, c’est, après la grandeur de l’entreprise et la longueur de la carrière dont il faut tenir compte, une poésie générale, mouvante, puissante, qui circule dans tout cela, comme l’air sur de vastes plateaux élevés, ou comme l’esprit sur les eaux. C’est de plus un certain nombre de morceaux très beaux qui semblent lui assurer une manière. M. Quinet est de tous les hommes celui chez lequel le système que nous avons en partie critiqué, nous apparaît le plus identifié avec la nature intime, avec la vie habituelle, avec le tour de la pensée et de l’imagination. Une individualité qui se peint dans ce poème, peut-être à l’égal de celle de Napoléon, ne serait-elle pas celle même du poète : poète généreux, ingénu, au front éclairé et noyé de nobles lueurs, à la poitrine palpitante, à l’imagination inépuisable ? Je vois en lui un neveu errant et quelque peu sauvage